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pas — ce qui est l’ambition de tout effort scientifique — nous conduire à des lois ? Des lois inductives, relalives, approximatives, d’étendue limitée, et qui souflVent à côté d’elles des lois contraires. La complexité des éléments est telle dans les sciences morales que l’on n’est jamais assuré d’avoir déterminé toutes les conditions de la production des phénomènes. Aussi les lois ne peuvent-elles être — ou du moins ne sont-elles actuellement — que les formules du contenu d’un groupe de faits, un groupe voisin pouvant donner une formule différente. Ce ne sont pas des contradictions : cela veut dire qu’il y a dans un cas des conditions, parfois insoupçonnées, qui n’existent pas dans l’autre. L’eau gèle à 0° : mais une certaine eau ne gèle pas à 0°. C’est de l’eau de mer, de l’eau salée. Le savant le sait ; et la loi de la congélation de l’eau à 0° subsiste. Notre malheur, à nous, en littérature, c’est que nous n’avons pas toujours le moyen de savoir si l’eau que nous regardons congeler, est salée, ou non. Ne nous laissons donc pas troubler ; exprimons le contenu des faits, par autant de formules qu’il faudra. N’y impliquons aucune affirmation systématique, aucun a priori, aucune philosophie de l’histoire, ou de la science, aucune idée de l’unité de l’univers, etc. N’y mettons que le fait, et n’entendons rien autre chose par ce mot de lois, sinon que dans une pluralité de cas, certaines conditions étant données, les choses se sont passées de telle façon. Ce sont des ombres de lois plutôt que des lois : car nous ne savons pas toujours si nous apercevons bien les conditions suffisantes et nécessaires. Il est utile pourtant de les définir et de les considérer, vagues, lâches, flottantes, contradictoires comme elles sont ; c’est en les définissant et en les considérant qu’on pourra arriver à préciser les rapports, à leur donner plus de vigueur, plus de certitude, plus de cohésion. Si ce mot de lois paraît ambitieux, disons faits généraux ou rapports généraux ; le nom ne fait rien à la chose.

Voici quelques-uns de ces faits généraux qui me paraissent observables dans la littérature française moderne (xvie-xixe siècle) : je serais curieux que l’on en fît la vérification dans les littératures anciennes et étrangères :

1o Loi de corrélation de la littérature et de la vie. — La formule ordinaire de cette loi est : « La littérature est l’expression de la société ». Sous cette forme, elle est devenue banale ; c’est peut-être la plus ancienne loi de sociologie littéraire qui ait été définie. On en