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revue de métaphysique et de morale.

III

On montrerait ensuite, sans trop de peine, que les problèmes les plus importants de l’histoire littéraire sont des problèmes sociologiques, et que la plupart de nos travaux ont une base ou une conclusion sociologique. Que voulons-nous ? expliquer les œuvres ; et pouvons-nous les expliquer autrement qu’en résolvant les faits individuels en faits sociaux, en situant œuvres et hommes dans les séries sociales ?

Ainsi les recherches de sources et les recherches biographiques. Si elles n’avaient d’autre objet que de produire le compte des chemises de Jean-Jacques Rousseau ou de dénicher un vers italien traduit par Ronsard, ce serait une bien mince et stérile érudition. Mais où va-t -on par ces minutieuses précisions ? on cherche à atteindre tout ce qu’on peut atteindre du passé, pour saisir toutes les communications d’un individu avec la vie de son temps et des temps qui l’ont précédé. On regarde le paysage natal de Racine, l’atmosphère familiale où il a baigné, le Port-Royal janséniste et helléniste, la cour, le monde, la Champmeslé et ses amants, l’intérieur de bourgeois cossu où il a vieilli, on lit l’inventaire de ses livres ; on déchiffre dans ses œuvres les traces de l’action de certaines œuvres antiques et modernes. Je ne dis pas qu’on tienne tout Racine, et qu’avec les éléments qu’on a démêlés on puisse engendrer une seule de ses tragédies par une sorte de synthèse chimique. Après qu’on a distingué quatre ou cinq éléments constitutifs de la personne littéraire de Racine, il en reste d’autres, actuellement ou à jamais irréductibles, inexplicables ; et il reste une combinaison qu’on n’explique pas, des propriétés nouvelles du composé qui ne ressemblent à rien de ce qui est dans les éléments. Mais enfin qu’avons-nous fait par toutes ces recherches de biographie et de sources ?

Nous avons substitué partiellement à l’idée de l’individu l’idée de ses relations à divers groupes et êtres collectifs, l’idée de sa participation à des états collectifs de conscience, de goût, de mœurs. Nous avons remarqué dans sa personnalité des parties qui ne sont que les prolongements d’une vie sociale extérieure et antérieure à elle. Nous avons réduit cette personnalité à être — partiellement (pour ne pas dépasser notre connaissance par notre affirmation) — un foyer de concentration de rayons émanés de la vie collective qui