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L’HISTOIRE LITTÉRAIRE ET LA SOCIOLOGIE[1]


Messieurs,

Si j’ai accepté, à la demande de M. Durkheim, de vous parler des rapports de l’histoire littéraire avec la sociologie, ce n’est pas que je me sentisse bien compétent sur un tel sujet ; il m’a attiré au contraire parce qu’il m’était neuf, et je me suis engagé à vous exposer mes idées pour me donner occasion d’en acquérir. Je les propose aujourd’hui à votre discussion, et c’est de cet examen contradictoire que j’attends le résultat le plus net.

I

Je me suis demandé d’abord si nous n’avons pas déjà assez de besogne, et de besogne urgente, en Histoire littéraire, sans nous embarrasser encore de prétentions sociologiques. Combien d’époques, combien d’auteurs, pour ne parler que de la littérature française, sont encore mal connus ! Combien de biographies restent à établir, combien de sources à rechercher, combien d’influences à tracer, combien de courants et de mélanges d’idées à reconnaître ! Combien de formes littéraires dont la génération et la transformation n’ont pas été encore suffisamment étudiées ! Le travail n’est pas près de manquer dans notre partie, et nous n’avons pas besoin de nous annexer une industrie nouvelle.

Même bien des études faites et refaites sont à reprendre. Sous le nom d’histoire littéraire, on nous a souvent apporté de la critique subjective, des impressions individuelles, ou des constructions systématiques qui sont fondées, quoiqu’elles les déguisent, sur des impressions individuelles. L’Histoire littéraire reste à faire en grande partie, c’est-à-dire que nous avons à appliquer la méthode de l’his-

  1. Conférence faite à l’École des Hautes Études sociales le 29 janvier 1904.