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a priori. Celles-ci nous sont fournies par les deux formes a priori de la sensibilité, l’espace et le temps. C’est donc l’Esthétique transcendentale qui est chargée de répondre à cette question : « Comment les mathématiques pures sont-elles possibles ? » (B. 55, 73). Par là se trouvent déterminés à la fois l’objet des mathématiques et la portée de leur méthode. Leur objet ne peut être que la grandeur, « car seul le concept de grandeur se laisse construire » (B. 742) ; et l’espace et le temps sont les seules « grandeurs originaires » (B. 753). Leur méthode ne peut s’appliquer qu’à ce qui peut être objet d’intuition, et d’intuition a priori : elle ne peut donc s’appliquer ni aux concepts purs et simples, ni aux intuitions empiriques, par exemple aux qualités sensibles (B. 743). La mathématique ne peut avoir pour objets que les concepts qu’on peut construire, à savoir la figure, détermination d’une intuition a priori dans l’espace, la durée, division du temps, et le nombre, résultat général de la synthèse d’un seul et même objet dans l’espace et dans le temps, qui par suite mesure la grandeur d’une intuition (B, 752). Ainsi c’est la méthode, et non l’objet, qui distingue essentiellement la mathématique de la métaphysique, et c’est la méthode de la mathématique qui détermine son objet[1]. Par là s’explique que les jugements mathématiques puissent être à la fois synthétiques (comme les jugements empiriques ) et a priori (comme les jugements analytiques). Ils sont synthétiques, parce qu’ils reposent sur une synthèse effectuée dans l’intuition ; et ils sont a priori, parce que cette intuition est elle-même a priori.

Kant caractérise la méthode mathématique en l’opposant à la méthode de la philosophie. La mathématique seule a des axiomes, c’est-à-dire des principes synthétiques a priori, « parce qu’elle seule peut, en construisant un concept, lier a priori et immédiatement ses prédicats dans l’intuition de son objet » (B. 760). La philosophie ne peut pas avoir d’axiomes, car elle ne peut pas sortir du concept pour le lier à un autre concept. La mathématique seule a des définitions, car seule elle crée ses concepts par une synthèse arbitraire ; par suite, ses définitions sont indiscutables et ne peuvent être erronées. Au contraire, on ne peut pas à proprement parler définir, soit les objets empiriques, soit les concepts a priori, on ne peut que les décrire, et cette description est toujours discutable, car on ne

  1. Cf. Logique, Introduction, III (Hartenstein, VIII, 23).