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E. CHARTIER. — Vers le positivisme absolu par l’idéalisme.

sonne, par une sorte d’intuition directe, parce qu’il en vit intellectuellement[1] ». Une science se justifie non pas quand on la considère une fois faite et du dehors, mais quand on la fait ou quand on la refait. Il n’y a point de principe de l’invention hors de l’invention même, qui se prouve surabondamment en se montrant. Et vera incessu….

Ni le principe de non-contradiction, ni aucun principe a priori, ni aucune démonstration ne suffisent pour fonder une science et en écarter le doute. La vérité purement formelle ou abstraite n’est qu’un fantôme. Une science, même très abstraite, comme l’arithmétique, n’a d’autre preuve que sa durée même ; sa durée est une épreuve continuelle qui la confirme. Et M. Weber s’attache à montrer que cette épreuve est déjà une véritable expérience. Le passage est d’importance capitale ; il prépare la principale thèse du livre, l’interprétation idéaliste de l’expérience, et le lecteur devra s’y arrêter, M. Weber, allant au-devant de cette thèse, et soucieux de rapprocher la vérité de théorie de la vérité de fait, s’efforce de montrer que la théorie, en tant que théorie, se prouve par le fait à chaque instant. L’identité des résultats successifs obtenus en faisant une opération selon les règles, est une preuve par le fait, et non négligeable ; car si cette preuve manquait régulièrement, que resterait-il de la théorie ? Et si l’on dit à M. Weber qu’il confond ici l’application avec la théorie, il répond : où finit la théorie, où commence l’application ? La proposition est de théorie ; donc aussi la proposition i , donc aussi la proposition  ; et comment prouvez-vous cette dernière, sinon par la concordance des résultats obtenus par des opérations successives ? Il faut suivre cette thèse dans l’ouvrage même de M. Weber, et étudier de près les autres exemples dont il l’éclaire[2].

Allons-nons conclure que l’arithmétique est une science expérimentale ? Non pas. Nous saisissons seulement, dans celle science, l’union intime de l’idée et du fait, union si intime, et, peut-on dire, ressemblance si frappante, que le rôle de l’expérience dans la mathématique a été longtemps méconnu : « D’un côté, l’opération mathématique apparaît comme une leçon demandée à l’expérience. De l’autre elle se révèle comme un enchaînement d’idées se dévelop-

  1. P. 310.
  2. Chap. V. § vi, viiix.