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certain mouvement séparément, ni le cerveau séparément. C’est le tout de la « réalité en soi » qu’il faudra prendre en bloc. Et dès lors votre second bateau disparaît encore, non plus pour venir se perdre dans le premier bateau , mais pour s’enfoncer dans l’eau et se confondre avec le sous-marin. C’est cette fois le sous-marin, aperçu ou deviné confusément sous l’eau, qu’on avait pris pour un second bateau flottant à la surface.

M. l’inspecteur général Darlu, de Paris. — La question qui vient d’être débattue est de si grande conséquence et les considérations présentées par M. Bergson ébranlent ou paraissent ébranler si puissamment les convictions de ceux qui adhèrent à l’idéalisme, que je ne puis résister au besoin de proposer une réflexion qui modifiera, je le crois, l’aspect de ses conclusions. Je le ferai très brièvement en raison de l’heure avancée.

Dans la série des propositions de M. Bergson, d’un tissu si merveilleusement serré, je voudrais essayer d’introduire une idée qui permit de sortir du cercle vicieux où il a prétendu enfermer l’Idéalisme.

M. Bergson s’appuie sur cette proposition que l’événement cérébral parallèle à la représentation, s’il est considéré lui-même comme une représentation — ce qui est le propre de la théorie idéaliste, — est tout actuel, sans virtualités cachées, donc isolé, séparé, particulier, et qu’il devient alors proprement absurde d’en faire l’équivalent de la représentation totale, ce qui revient à dire que la partie est le tout.

Or il me semble qu’il suffit d’introduire l’idée de représentations obscures pour faire tomber cette argumentation.

S’il y a des représentations obscures et confuses enveloppant une infinité de représentations distinctes, l’événement cérébral correspondant à l’une d’elles, est lui-même plein de « virtualités cachées », susceptibles de se développer en une infinité d’autres événements physiques. Il cesse d’être isolé, singulier, partiel. Par exemple, je regarde le ciel, mon œil est affecté et j’éprouve une sensation lumineuse. Il y a là un événement cérébral qui correspond à une représentation confuse. Puis j’analyse cette sensation, je l’approfondis en m’aidant du travail des générations humaines ; je lis les Principes de Newton ; à ce moment une représentation du ciel n’exprime plus simplement l’événement cérébral, l’état de mon cerveau, elle exprime aussi ou surtout l’ordre de l’univers céleste. Cependant