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IIme CONGRÈS DE PHILOSOPHIE — GENÈVE

à un degré quelconque, objet de connaissance. Même pour la déclarer inconnaissable, pour la poser simplement comme telle, il faudrait en quelque mesure la connaître. Autant vaut dire qu’il n’y a de réalité pour nous que celle qui passe par l’esprit, que celle que l’esprit pénètre et façonne. À ce point de vue, l’esprit n’occupe plus un compartiment distinct des choses, il est en toutes choses et toutes choses sont en lui.

Ce point de vue exclut, le lecteur remarquera cette importante analyse, les recherches, si intéressantes qu’elles puissent être, de la psychologie expérimentale. En accomplissant son œuvre, cette psychologie n’est pas tenue de s’enfermer dans le monde psychique. Du moment que, pour elle, il y a quelque chose en dehors de l’esprit, elle peut s’en servir pour étudier l’esprit. Le processus de la science le comporte. L’esprit est difficile à saisir en lui-même ; nous n’en avons jamais, disait avec raison Malebranche, qu’une « Connaissance confuse » ; pourquoi ne pousserait-on pas l’artifice de la science — car la coordination est un artifice — jusqu’à remplacer la recherche des conditions psychiques des phénomènes par celle de leurs coordinations physiques, comme on remplace la connaissance des phénomènes eux-mêmes par celle de leurs conditions ? C’est la méthode extérieure. Et l’on voit aussitôt que, si elle est permise à l’une des deux psychologies, elle est défendue à l’autre. Comment celle dont l’objet est universel rapporterait-elle les événements de l’esprit à leurs conditions extérieures, elle qui considère l’esprit comme la condition immanente de la réalité, et pour qui, par conséquent, rien ne doit exister en dehors de l’esprit ? Où trouver les conditions de ce qui est la condition de tout ? À ce point de vue, l’esprit ne peut s’étudier que par l’esprit, indirectement encore, mais intérieurement. — Ce n’est pas tout. Cette différence de méthode peut se retrouver, même dans les bornes du monde psychique. Il y a une manière de concevoir les antécédents et les conséquents psychiques qui en facilite l’usage dans la coordination, mais qui en dénature le caractère essentiel. En effet, nous les réalisons dans le passé ou dans l’avenir ; ils interviennent comme ayant été sentis, pensés, ou comme devant l’être, non pas comme l’étant actuellement ; nous les distinguons soit du souvenir, soit de la prévision que nous en avons. Ce sont donc choses détachées de l’esprit, hors de l’esprit. Bien que nous les tenions encore pour psychiques, nous nous en servons comme si elles ne l’étaient pas. Or, si cette con-