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IIme CONGRÈS DE PHILOSOPHIE — GENÈVE

6. D’où il suit que l’homme peut être rassuré de deux manières, par coutume, et par raison. Le mot utile a donc deux sens très différents.

7. La coutume sauve et rassure. Mais l’homme qui comprend ne peut plus être rassuré par la coutume. Sa sécurité dépend d’un système reconstruit et clairement intelligible. Ainsi le contrat juste n’est pas le contrat utile en fait, et qui rassure par coutume, mais le contrat qui est utile en essence, et qui rassure en droit, fût-il nuisible en fait.

8. Ainsi le savoir par coutume nous fait passer de l’agréable à l’utile ; mais le savoir par reconstruction nous fait passer à un autre utile, qui est l’idée de l’utile, ou le bien.

Le Bien. — 1. Un des effets de la Raison est de nous pousser, dans certains cas, à nous perdre en fait, en préférant l’essence de l’utile à l’utile par coutume : de là l’opposition entre l’intérêt et le bien, quoique le bien consiste aussi dans l’intérêt, mais dans l’intérêt en essence, non en existence.

2. L’individu n’est individu qui si les parties sont réglées par l’idée du tout, qui est l’âme du tout, ainsi la Raison est l’être même. Dire qu’elle doit diriger, c’est exactement dire que, tant que l’individu subsiste, les mouvements des parties sont conformes à l’idée du tout. Une machine n’est machine que par là : autrement il y a plusieurs machines, non une machine. De même l’homme déraisonnable est plusieurs bêtes, non un homme.

3. La Raison engendre donc un amour de soi, et un effort pour se conserver soi-même, qui sont bien loin d’être satisfaits par la conservation du corps. Marc-Aurèle ne pourrait se conserver au prix de sa vertu ; car qui conserverait-il ?

4. Je crois ne sacrifier que mes idées, en sacrifiant mes idées, mais en réalité je sacrifie tout mon être, tout ce qui est moi pour moi. Et c’est parce que je le comprends que je puis dire que j’aime mieux mes idées que moi. J’entends par là que je veux durer, non aux yeux des autres, mais moi pour moi.

5. Par là j’arrive à rejeter tout ce qui est contre Raison comme contraire à moi et ennemi de moi, en essence, non en existence. J’ai d’abord renoncé à la colère par intérêt, à cause de ses conséquences, et de ses ricochets contre moi-même ; j’y renonce vraiment lorsque je comprends qu’elle est un échec à la Raison, et déjà une mort en moi. C’est en ce sens qu’il y a une conscience, distincte de la coutume.