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IIme CONGRÈS DE PHILOSOPHIE — GENÈVE

juste et ce qui est profitable à la société, etc. Ici encore tout effort visant à l’analyse et à la détermination des critériums à l’aide desquels les distinctions dont on parle pourraient être précisées ou justifiées, est sujet à être interprété comme une mise en question de la distinction même dont on cherche ainsi à découvrir les bases, quelquefois presque comme un attentat à son intégrité.

Ce sont parfois les initiateurs même d’une nouvelle théorie philosophique, et non pas seulement leurs adversaires, qui se persuadent le plus aisément que leur doctrine est en opposition ou en contradiction avec toutes les idées reçues sur le même sujet, qu’elle va convaincre d’erreur tous leurs devanciers et le sens commun par-dessus le marché. On a vu par exemple, et on voit encore, des philosophes qui, par le seul fait d’admettre que les actions humaines ne constituent pas une exception à ce qu’ils appellent la « loi de causalité », se sont cru obligés de rejeter comme absurdes ou illégitimes les notions de mérite et de responsabilité ou la distinction entre ce qui dépend de nous (τὁ ἐφ’ ἡμῖν), et ce que nos volontés ou nos désirs sont impuissants à modifier, comme si ces distinctions ne trouvaient pas précisément leur plus solide appui dans celles qui subsistent entre le différentes classes de causes qui concourent à déterminer nos actions et entre les divers moyens auxquels il faut, par conséquent, recourir pour les provoquer ou les empêcher.

C’est à une illusion du même genre qu’on doit attribuer l’opinion que, dans certains milieux « positivistes », on exprime en disant que la science doit renoncer à toute recherche sur les « vraies causes », ou sur la « nature des choses », et se « borner » à la détermination des lois, de coexistence et de succession des phénomènes ; ou que son rôle propre n’est pas de donner des « explications » mais seulement des « descriptions » de faits dont elle s’occupe, etc.

En somme le paradoxe est l’effet naturel de ce que l’on peut appeler l’épuration des concepts. Il faut bien que l’on donne un sens précis et limité à ces termes généraux dont la signification est si riche dans la langue populaire. De là un trouble pour ceux qui ne considèrent pas les définitions ou qui ne savent pas s’y tenir, trouble dont le philosophe ne peut prendre souci, occupé qu’il est à retrouver peu à peu les vérités du sens commun, et à leur donner une forme bien plus satisfaisante, mais qui fait que le sens commun ne s’y reconnaît pas toujours lui-même. À l’appui de cette analyse, où l’on reconnaît un philosophe pour qui l’épuration des concepts et la