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pense M. Weber, diffère profondément des empiristes, et que la critique diffère de l’agnosticisme : car les empiristes exigent une chose en soi comme régulatrice suprême de la Science dans l’expérience ; tandis que Kant non. Et l’on voit bien par là que M. Weber, en refusant de chercher à la Science un appui hors d’elle-même, est disciple de Kant bien plus qu’il ne le croit. Ajoutons qu’il serait aussi à propos, à ce sujet, de chercher dans la Critique du Jugement, livre puissant, mais fort obscur, gros à ce qu’il semble de toute la métaphysique que les disciples de Kant en ont tirée, de chercher là dis-je, le sens véritable du système de Kant ; c’est là que M. Weber pourrait saisir dans le jugement esthétique, l’acte même de la pensée créant le réel, c’est-à-dire, si l’on veut, la contre-épreuve de la Critique de la Raison pure. Aussi est-il permis de penser que M. Weber, s’il ne s’était abandonné au désir de réfuter, aurait trouvé dans le système de Kant un idéalisme cohérent, c’est-à-dire, en somme, sa propre pensée exprimée avec d’autres mots.

Aussi le dilemme suivant ne me trouble pas beaucoup : « le subjectivisme de Kant doit conduire à l’idéalisme absolu, ou bien doit rétrograder jusqu’au scepticisme de Hume, et l’alternative exige que l’on choisisse ». En admettant même l’interprétation de M. Weber, et sans rechercher si la Morale et l’Esthétique de Kant ne conduisent pas, sans les forcer le moins du monde, à un idéalisme absolu qui est déjà celui de Fichte, on peut penser que ce dilemme est artificiel comme tout dilemme, et que l’on ne peut rétrograder de Kant à Hume. Quand même Kant n’aurait pas assez expliqué en quel sens la Raison humaine est législatrice, et quelle est la relation des idées à priori à l’expérience, cela suffirait-il à ruiner l’édifice tout entier de la Critique ? Évidemment non. Même si connaître avec certitude est impossible, c’est encore un immense progrès que de bien savoir ce que c’est que connaître. Et même ceux qui ont dirigé leurs recherches de ce côté ne tardent pas à comprendre, M. Weber lui même en est un exemple, qu’il n’y a pas lieu, pour juger de la valeur du savoir, de chercher quelle est sa relation à quelque autre chose. On se guérit du scepticisme non par la découverte d’un argument plus ou moins ingénieux, mais par la pratique de la réflexion.

À plus forte raison pourra-t-on se demander, en ce qui concerne Fichte et Hegel, si l’analyse n’est pas un peu courte et si la critique n’est pas un peu trop prompte. Si la seconde partie du livre ne nous révélait un penseur de premier ordre, et même plus près de