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ardeur et ténacité : il est souple et subtil ; mais enfin, parmi ces coups multipliés, il en est, semble-t-il, qui portent à faux ; et quand un auteur est réduit à la contraditio in terminis, il nous reste souvent encore des inquiétudes. Sans doute on peut considérer comme suffisante la vigoureuse argumentation qu’il dirige à plusieurs reprises contre Le « réalisme transfiguré » de Spencer, et ces pages[1] doivent être recommandées à ceux qui voudraient revivifier la classique réfutation de l’empirisme, mais enfin la victoire ici semble facile. Quand il s’agit au contraire de Kant, presque à chaque mot des objections se présentent. M. Weber connaît bien Kant : son livre contient, au sujet des principes a priori, des analyses magistrales, que tout le monde aura profit à suivre[2]. Mais alors comment n’a-t-il pas essayé de résoudre, par une étude plus approfondie des œuvres de Kant, les difficultés qu’il y trouve ?

« Kant, dit notre auteur, n’avait su affranchir du réalisme spatial que ses représentations sensibles, et il le laissait à son insu domine ses représentations intellectuelles[3]. » À son insu, est contestable. « Nous pensons dans l’espace », cela est une pensée de Kant avant d’être une pensée de M. Bergson. Et il me semble que, si quelque auteur s’est appliqué à montrer que la pensée pure n’est aussi qu’un bavardage, et que les catégories ne sont rien du tout que des mots vides de sens hors de leur application aux formes de la sensibilité, c’est bien Kant. On peut relire à ce sujet le chapitre si connu, et si obscur, du Schématisme, et l’explication des catégories de la relation ; mais surtout la Dialectique fait bien voir que læ raison, dans l’usage téméraire qu’elle fait des catégories, ne peut manquer d’entraîner avec les catégories les formes mêmes de la sensibilité qui y sont comme adhérentes. M. Weber semble donc méconnaître l’esprit même de la critique kantienne lorsqu’il accuse Kant d’avoir morcelé la pensée, et séparé la sensibilité. de l’entendement[4]. Kant à distingué pour expliquer, et parce qu’on ne peut tout dire à la fois ; mais il a pris soin de lier étroitement d’abord la forme du temps à la forme de l’espace, et aussi les catégories à la forme du temps, montrant clairement qu’une pensée qui sépare l’entendement des formes et pour ainsi dire l’âme du

  1. P. 45-49.
  2. P. 67, 194, 203.
  3. P. 81.
  4. P. 80.