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classées. Qu’on me permette, pour la commodité du langage, d’exprimer ma pensée d’une façon tout à fait grossière et même inexacte en disant que nos séries de sensations musculaires sont classées en trois classes correspondant aux trois dimensions de l’espace. Bien entendu, cette classification est beaucoup plus compliquée que cela, mais cela suffira pour faire comprendre mon raisonnement. Si je veux imaginer une quatrième dimension, je supposerai une autre série de sensations musculaires, faisant partie d’une quatrième classe. Mais comme toutes mes sensations musculaires ont déjà été rangées dans une des trois classes préexistantes, je ne puis me représenter qu’une série appartenant à l’une de ces trois classes, de sorte que ma quatrième dimension est ramenée à l’une des trois autres.

Qu’est-ce que cela prouve ? C’est qu’il aurait fallu d’abord détruire l’ancienne classification et la remplacer par une nouvelle où les séries de sensations musculaires auraient été réparties en quatre classes. La difficulté aurait disparu.

On la présente quelquefois sous une forme plus frappante. Supposons que je sois enfermé dans une chambre entre les six parois infranchissables formées par les quatre murs, le plafond et le plancher ; il me sera également impossible d’en sortir et d’imaginer que j’en sorte. — Pardon, ne pouvez-vous vous imaginer que la porte s’ouvre, ou que deux de ces parois s’écartent ? — Mais bien entendu, répondra-t-on, il faut qu’on suppose que ces parois demeurent immobiles. — Oui, mais il est évident que moi, j’ai le droit de bouger ; et alors les parois que nous supposons en repos absolu seront en mouvement relatif par rapport à moi. — Oui, mais un pareil mouvement relatif ne peut pas être quelconque, quand des objets sont en repos, leur mouvement relatif par rapport à des axes quelconques est celui d’un corps solide invariable, or les mouvements apparents que vous imaginez ne sont pas conformes aux lois du mouvement d’un solide invariable. — Oui. mais c’est l’expérience qui nous a appris les lois du mouvement d’un solide invariable ; rien n’empêcherait d’imaginer qu’elles fussent différentes. En résumé pour m’imaginer que je sors de ma prison, je n’ai qu’à m’imaginer que les parois semblent s’en écarter, quand je remue.

Je crois donc que si par espace on entend un continu mathématique à trois dimensions, fût-il d’ailleurs amorphe, c’est l’esprit qui le construit, mais il ne le construit pas avec rien, il lui faut des