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H. POINCARÉ. L’ESPACE ET SES TROIS DIMENSIONS.

times sans doute, mais vous en abusez ; à quoi bon faire bouger aussi souvent les objets extérieurs ? »

En résumé l’expérience ne nous prouve pas que l’espace a trois dimensions ; elle nous prouve qu’il est commode de lui en attribuer trois, parce que c’est ainsi que le nombre des coups de pouce est réduit au minimum.

Ajouterai-je que l’expérience ne nous ferait jamais toucher que l’espace représentatif qui est un continu physique, et non l’espace géométrique qui est un continu mathématique. Tout au plus pourrait-il nous apprendre qu’il est commode de donner à l’espace géométrique trois dimensions pour qu’il en ait autant que l’espace représentatif.

La question empirique peut se poser sous une autre forme. Est-il impossible de concevoir les phénomènes physiques, les phénomènes mécaniques par exemple autrement que dans l’espace à trois dimensions. Nous aurions ainsi une preuve expérimentale objective pour ainsi dire, indépendante de notre physiologie, de nos modes de représentation.

Mais il n’en est pas ainsi ; je ne discuterai pas ici complètement la question, je me bornerai à rappeler l’exemple frappant que nous donne la mécanique de Hertz.

On sait que le grand physicien ne croyait pas à l’existence des forces proprement dites ; il supposait que les points matériels visibles sont assujettis à certaines liaisons invisibles qui les relient à d’autres points invisibles et que c’est l’effet de ces liaisons invisibles que nous attribuons aux forces.

Mais ce n’est là qu’une partie de ses idées. Supposons un système formé de points matériels visibles ou non ; cela fera en tout 3 coordonnées ; regardons-les comme les coordonnées d’un point unique dans l’espace à 3 dimensions. Ce point unique serait assujetti à rester sur une surface (d’un nombre quelconque de dimensions < 3 ) en vertu des liaisons dont nous venons de parler ; pour se rendre sur cette surface d’un point à un autre, il prendrait toujours le chemin le plus court et ce serait là le principe unique qui résumerait toute la mécanique.

Quoi que l’on doive penser de cette hypothèse, qu’on soit séduit par sa simplicité, ou rebuté par son caractère artificiel, le seul fait que Hertz ait pu la concevoir, et la regarder comme plus commode que nos hypothèses habituelles, suffit pour prouver que nos idées