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H. POINCARÉ. L’ESPACE ET SES TROIS DIMENSIONS.

sommes partis. Or ces mouvements nous sont révélés par nos sensations musculaires ; mais rien ne nous fait connaître la situation initiale ; rien ne peut nous la faire distinguer de toutes les autres situations possibles. Voilà qui met bien en évidence la relativité essentielle de l’espace.

§ 10. — Identité des divers espaces.

Nous sommes donc amenés à comparer les deux continus et engendrés par exemple, l’un par mon premier doigt , l’autre par mon second doigt . Ces deux continus physiques ont l’un et l’autre trois dimensions. À chaque élément du continu , ou si l’on aime mieux s’exprimer ainsi, à chaque point du premier espace tactile, correspond une série de sensations musculaires Σ qui me font passer d’une certaine situation initiale à une certaine situation finale[1]. De plus un même point de ce premier espace correspondra à Σ et à Σ + σ, si σ est une série dont nous savons qu’elle ne fait pas bouger le doigt .

De même à chaque élément du continu , ou à chaque point du second espace tactile correspond une série de sensations Σ, et un même point correspondra à Σ’ et Σ’+ σ', si σ’ est une série qui ne fait, pas bouger le doigt .

Ce qui nous fait donc distinguer les séries σ et σ’, c’est que les premières n’altèrent pas les impressions tactiles éprouvées par le doigt et que les secondes conservent celles qu’éprouve le doigt .

Or voici ce que nous constatons : au début mon doigt éprouve une sensation  ; je fais des mouvements qui engendrent les sensations musculaires  ; mon doigt éprouve l’impression  ; je fais des mouvements qui engendrent une série de sensations  ; mon doigt continue à éprouver l’impression , puisque c’est là la propriété caractéristique des séries σ ; je fais ensuite des mouvements qui engendrent la série de sensations musculaires, inverse de au sens donné plus haut à ce mot. Je constate alors que mon doigt

  1. Au lieu de dire que nous rapportons l’espace à des axes invariablement liés à notre corps, peut-être vaudrait-il mieux dire, conformément à ce qui précède, que nous le rapportons à des axes invariablement lies à la situation initiale de notre corps.