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revue de métaphysique et de morale.

Qu’aurions-nous fait alors si l’expérience avait donné ce résultat contraire ? Toute géométrie serait-elle ainsi devenue impossible ? pas le moins du monde : nous nous serions bornés à conclure que le toucher peut s’exercer à distance.

Quand je dis, le toucher ne s’exerce pas à distance, mais la vue s’exerce à distance, cette assertion n’a qu’un sens qui est le suivant. Pour reconnaître si occupe à l’instant β, le point occupé par à l’instant α, je puis me servir d’une foule de critères différents ; dans l’un intervient mon œil, dans l’autre mon premier doigt, dans l’autre mon second doigt, etc. Eh bien, il suffit que le critère relatif à l’un de mes doigts soit satisfait pour que tous les autres le soient, mais il ne suffit pas que le critère relatif à l’œil le soit. Voilà le sens de mon assertion, je me borne à affirmer un fait expérimental qui se vérifie d’ordinaire.

Nous avons analysé au § 6 l’espace visuel ; nous avons vu que pour engendrer cet espace, il faut faire intervenir les sensations rétiniennes, la sensation de convergence, et la sensation d’accommodation ; que si ces deux dernières n’étaient pas toujours d’accord, l’espace visuel aurait quatre dimensions au lieu de trois ; et d’autre part que si l’on ne faisait intervenir que les sensations rétiniennes, on obtiendrait « l’espace visuel simple » qui n’aurait que deux dimensions. D’un autre côté, envisageons l’espace tactile, en nous bornant aux sensations d’un seul doigt, c’est-à-dire en somme l’ensemble des positions que peut occuper ce doigt. Cet espace tactile que nous analyserons dans le § suivant et sur lequel je demanderai en conséquence la permission de ne pas m’expliquer davantage pour le moment, cet espace tactile, dis-je, a trois dimensions. Pourquoi l’espace proprement dit a-t-il autant de dimensions que l’espace tactile et en a-t-il plus que l’espace visuel simple ? C’est parce que le toucher ne s’exerce pas à distance, tandis que la vue s’exerce à distance. Ces deux assertions n’ont qu’un seul et même sens et nous venons de voir quel était ce sens.

Je reviens maintenant sur un point sur lequel j’avais glissé rapidement pour ne pas interrompre la discussion. Comment savons-nous que les impressions faites sur notre rétine par à l’instant α et par à l’instant β nous sont transmises par une même fibre rétinienne, bien que ces impressions soient qualitativement différentes ? J’ai émis une hypothèse simple, mais en ajoutant que d’autres hypothèses, notablement plus compliquées, me paraissaient plus proba-