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déjà connues ; et que, pareillement, on arrivera aisément à distinguer deux sons très voisins l’un de l’autre, si l’on arrive à les chanter l’un et l’autre, non l’un par rapport à l’autre, mais tous les deux par rapport à deux systèmes de notes dont tous les éléments, excepté ceux-là, sont aisément discernables. Et je me suis dit souvent que cette éducation du sentir ressemblait étrangement à celle du penser, car vous n’ignorez pas que l’on compare souvent indirectement deux grandeurs très voisines par leurs relations avec d’autres grandeurs plus aisément discernables. Il n’est donc pas absurde, Ariste, de soutenir que la sensation de son n’est autre chose que la connaissance confuse de certaines grandeurs, de certains mouvements et de leurs rapports.

Ariste. — Voilà une conclusion bien hardie fondée sur de faibles preuves.

Eudoxe. — Les faibles preuves, Ariste, nous préparent aux autres en détruisant les plus faibles de nos préjugés. Et j’aperçois des preuves plus solides et mieux rangées qui ont hâte d’entrer dans la bataille et de soutenir les autres.

Ariste. — Quelles preuves ?

Eudoxe. — Je pense à un cortège de plaisirs qui, par leur ordre même, ressemblent à des pensées.

Ariste. — Y a-t-il donc un ordre dans les plaisirs, selon lequel ils dépendent les uns des autres ?

Eudoxe. — Si cet ordre existe pour tous les plaisirs, Dieu seul le sait, comme on dit. Mais, pour certains plaisirs, ils sont en quelque sorte tracés d’avance par l’ordre même des nombres.

Ariste. — Comment cela est-il possible ?

Eudoxe. — Nierez-vous que cela soit possible, si je puis, composant une sensation avec des nombres, faire ainsi une espèce de cuisine réglée par les nombres ?

Ariste. — Quelle pourrait être cette cuisine, Eudoxe ?

Eudoxe. — Rien, sinon l’art de préparer des plaisirs aux hommes en suivant la loi selon laquelle les nombres se composent.

Ariste. — Quel art serait capable de composer ainsi des plaisirs, et qui les goûterait ?

Eudoxe. — Nous le dirons tout à l’heure. Mais dites-moi, si je voulais vous expliquer ce que c’est que deux, le pourrais-je avant de vous avoir expliqué ce que c’est que un ?

Ariste. — Assurément non.