Eudoxe. — Et ainsi sentir le rouge est autre chose que penser le rouge ?
Ariste. — Oui.
Eudoxe. — Penser le rouge n’est-ce pas le comparer aux autres couleurs.
Ariste. — C’est cela précisément.
Eudoxe. — C’est-à-dire concevoir le rouge et le bleu par exemple, comme étant un et pourtant deux ?
Ariste. — Oui, d’après ce que nous avons dit.
Eudoxe. — En y appliquant la grandeur et le nombre, c’est-à-dire le plus ou le moins ?
Ariste. — Comment cela ?
Eudoxe. — Je veux dire en considérant qu’il n’y a d’autre différence entre le rouge et le bleu qu’une différence mesurable entre de petits mouvements rythmés ?
Ariste. — C’est bien exactement ainsi qu’on les compare.
Eudoxe. — Et toutes ces mesures et tous ces mouvements, et leurs figures, sont la pensée du rouge et du bleu ?
Ariste. — Oui.
Eudoxe. — Mais nullement le rouge et le bleu ?
Ariste. — C’est bien ce que j’ai soutenu an commencement de cet entretien.
Eudoxe. — Et le rouge et le bleu sont pourtant bien quelque chose hors de la pensée du rouge et du bleu ?
Ariste. — Assurément.
Eudoxe. — Quelque chose que l’on sent ?
Ariste. — Très exactement.
Eudoxe. — Sentir est donc autre chose que penser ?
Ariste. — Oui, si ce que nous avons dit est vrai.
Eudoxe. — Voyez maintenant si nous pourrons dire la même chose du son et de la pensée du son.
Ariste. — Je crois que nous le pourrons.
Eudoxe. — Et qu’un ut n’est pas quelque chose de plus ou de moins qu’un sol.
Ariste. — Oui, à moins de considérer non plus le son, mais la mesure qui est l’idée du son.
Eudoxe. — Nous dirons donc qu’on peut apprendre à penser la couleur et à penser le son ?
Ariste. — Nous le dirons.