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revue de métaphysique et de morale.

nous proposons de discuter, et auquel je pensais quand vous êtes entré ici, n’est pas de petite importance, car j’entends souvent faire ce même raisonnement en de tout autres matières.

Ariste. — Quel raisonnement ?

Eudoxe. — Celui qui concerne les aveugles. Car bien souvent on reproche à un homme qui raisonne d’employer mal à propos le raisonnement, en des choses qui se voient aussi clairement que je vois la couleur de ce tapis ; et souvent même on lui reproche de fermer les yeux exprès, je dis les yeux de l’esprit en quelque sorte, et d’être ainsi un aveugle volontaire.

Ariste. — J’ai entendu dire de telles choses encore hier soir, et j’avoue que j’étais ébranlé, tout à fait comme si un aveugle entendait ceux qui l’entourent parler de la lumière.

Eudoxe. — Et il ne manquait pas de médecins, Ariste, pour vous guérir de cette cataracte, et vous faire profiter des bienfaits de la lumière. Il importe donc que nous sachions s’il y a réellement une connaissance dans la pensée qui ne soit pas une pensée, ou si la pensée n’est pas en toutes nos connaissances mais parfois perdue et ensevelie non pour elle, mais pour nous, comme le grain de blé dont nous parlions tout à l’heure.

Ariste. — Faisons donc cet examen, Eudoxe. Mais je n’aurais pas cru que traiter de la sensation fût la même chose que traiter de la foi.

Eudoxe. — Il n’est pas temps encore d’ouvrir la fenêtre, Ariste. Examinons donc si la sensation est la même chose que la pensée ou non, sans nous soucier des rumeurs de la ville.

Ariste. — Examinons.

Eudoxe. — Ne disions-nous point que l’on apprend à penser ?

Ariste. — Nous le disions.

Eudoxe. — Dirons-nous qu’on apprend à sentir ?

Ariste. — Je ne sais. Il me semble que, dans le cas où le sentir est à l’état de pureté, et non mélangé avec la pensée, on n’apprend pas à sentir.

Eudoxe. — Ainsi on n’apprend pas à souffrir des dents ?

Ariste. — Comment le pourrait-on ?

Eudoxe. — N’apprend-on pas à reconnaître que l’on souffre de telle dent ou de telle autre ?

Ariste. — Si fait. Mais ce n’est pas là apprendre à sentir ; c’est apprendre à connaître un lieu d’après une sensation ; cela s’appelle percevoir, et nous avons dit autrefois que percevoir, c’est penser.