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6e DIALOGUE PHILOSOPHIQUE

ENTRE EUDOXE ET ARISTE


Eudoxe. — Vous ne doutez pas, Ariste, j’en suis assuré, de la joie que j’éprouve lorsque je vous reçois de nouveau, dans cette chambre qui est toujours la même, parmi ces meubles familiers, après un si long temps.

Ariste. — L’émotion que j’éprouve, Eudoxe, est réellement inexprimable, et je ne saurais même dire si c’est de la joie. Je vois bien, depuis que je suis en votre présence, qu’il nous arrive en ce moment quelque chose qui importe à nous deux, et encore plus à moi qu’à vous sans doute, puisque je me sens plus vivement ému que vous ne l’êtes.

Eudoxe. — Ne jugez point, Ariste, de mes sentiments d’après l’expression mesurée que j’ai pris l’habitude de leur donner. Pour parler spécialement de vous, je ne crois pas qu’il puisse arriver à un homme quelque chose de plus important que de revenir dans un lieu simple et silencieux où il a autrefois considéré beaucoup de questions importantes avec un œil non brouillé de larmes et sans d’autre souci que de bien voir clair dans ses idées. Voilà pourquoi toutes ces choses paisibles agissent avec tant de puissance sur votre cœur. Vos idées vous ont attendu ici, Ariste, et nul ne les a dérangées.

Ariste. — Je savais bien, Eudoxe, que cette porte que j’ai ouverte, que vous m’avez ouverte, était entre un monde vivant et un monde desséché et immobile, et j’allais vous le dire, mais je ne sais plus maintenant si le monde vivant est ici ou là-bas. D’où viens que je me sens ici plus près des hommes ?

Eudoxe. — Assurément cela aussi pourrait être expliqué ; il n’est pas, je crois, de sentiment, si puissant et si compliqué qu’on le