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tion ; on ne demanderait pas, par exemple, à l’expérience de décider si je dois appeler une droite ou bien . D’un autre côté, je ne puis dire non plus que je n’ai pas le droit de donner le nom de droites aux cotés des triangles non-euclidiens, parce qu’ils ne sont pas conformes à l’idée éternelle de droite que je possède par intuition. Je veux bien que j’aie l’idée intuitive du côté du triangle euclidien, mais j’ai également l’idée intuitive du côté du triangle non-euclidien. Pourquoi aurai-je le droit d’appliquer le nom de droite à la première de ces idées et pas à la seconde ? En quoi ces deux syllabes feraient-elles partie intégrante de cette idée intuitive ? Évidemment quand nous disons que la droite euclidienne est une vraie droite et que la droite non-euclidienne n’est pas une vraie droite, nous voulons dire tout simplement que la première idée intuitive correspond à un objet plus remarquable que la seconde. Mais comment jugeons-nous que cet objet est plus remarquable ? C’est ce que j’ai recherché dans les articles précédents.

C’est là que nous avons vu intervenir l’expérience ; si la droite euclidienne est plus remarquable que la droite non-euclidienne, c’est avant tout qu’elle diffère peu de certains objets naturels remarquables dont la droite non-euclidienne diffère beaucoup. Mais, dira-t-on, la définition de la droite non-euclidienne est artificielle ; essayons un instant de l’adopter, nous verrons que deux cercles de rayon différent recevront tous deux le nom de droites non-euclidiennes, tandis que de deux cercles de même rayon, l’un pourra satisfaire à la définition sans que l’autre y satisfasse, et alors si nous transportons une de ces soi-disant droites sans la déformer elle cessera d’être une droite. Mais de quel droit considérons-nous comme égales ces deux figures que les géomètres euclidiens appellent deux cercles de même rayon ? C’est parce qu’en transportant l’une d’elles sans la déformer on peut la faire coïncider avec l’autre. Et pourquoi disons-nous que ce transport s’est effectué sans déformation ? Il est impossible d’en donner une bonne raison. Parmi tous les mouvements concevables, il y en a dont les géomètres euclidiens disent qu’ils ne sont pas accompagnés de déformation ; mais il y en a d’autres dont les géomètres non-euclidiens diraient qu’ils ne sont pas accompagnés de déformation. Dans les premiers, dits mouvements euclidiens, les droites euclidiennes restent des droites euclidiennes, et les droites non-euclidiennes ne restent pas des droites non-euclidiennes ; dans les mouvements de la seconde sorte, ou