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plus l’unicité. Par exemple, on parle couramment de la direction suivie par un vaisseau sur l’océan ; or on sait fort bien qu’il se meut sur une surface sphéroïdale ; on entend donc par direction ce que les géomètres appellent une ligne géodésique de cette surface. Les lignes géodésiques de la sphère sont des grands cercles : on pourra dire, si l’on veut, qu’un grand cercle représente une direction à la surface de la sphère, et cette expression est jusqu’à un certain point légitime, car les lignes géodésiques d’une surface sont les plus courts chemins entre deux points sur cette surface, et elles jouissent des deux propriétés mécaniques qui caractérisent la ligne droite dans l’espace : c’est la figure d’un fil tendu, et c’est la trajectoire d’un point lancé avec une vitesse initiale, quand aucune force n’agit ni sur le point ni sur le fil. De plus, il n’y a en général qu’un grand cercle qui passe par deux points donnés à la surface sphérique ; c’est une analogie de plus avec la droite. Seulement, dans le cas particulier où les deux points sont diamétralement opposés, il y a une infinité de grands cercles qui les joignent, et l’on devra dire qu’il y a une infinité de directions qui mènent de l’un à l’autre. Or c’est justement ce qui arrive dans la géométrie de Riemann, qui n’est que la géométrie sphérique étendue à trois dimensions ; et l’on voit en même temps pourquoi il n’y existe pas de parallèles : c’est pour la même raison que deux grands cercles de la sphère se rencontrent toujours. En somme, ou bien l’idée de direction est identique à celle de droite, et alors elle contient déjà implicitement l’unicité de la droite ; ou bien elle est plus générale, et alors la pluralité des directions qui passent par deux points donnés n’est pas contradictoire. De toute façon, la proposition : « Par deux points ne peut passer qu’une droite » définit non seulement la droite, mais la nature de l’espace où cette ligne se trouve ; et elle imphque un postulat commun aux espaces d’Euclide et de Lowatchewski, à savoir : « Il existe une ligne déterminée par deux de ses points, c’est-à-dire qui reste immobile quand l’espace tourne autour de deux points fixes ; et cette ligne est unique ». Mais la droite générale que nous venons de définir n’appartient pas exclusivement à l’espace euclidien, de sorte que, pour achever de définir la droite euclidienne, il faut, comme l’a montré M. Calinon[1], ajouter au postulat précédent le postulatum d’Euclide, qui seul distingue l’espace d’Euclide de celui de Lowatchewski, tandis que le postulat de l’unicité de la ligne droite les distingue tous deux de celui de Riemann.

Quant au postulat de l’uniformité de l’espace, qui est commun aux trois espaces précédents, et que M. Renouvier rejette comme inutile, il est le fondement nécessaire de la mesure et de toutes les constructions géométriques, qui supposent la possibilité du mouvement d’une figure invariable. Il est d’ailleurs impliqué dans la définition même de l’égafité géométrique : « Deux figures sont égales quand elles sont superposables ». En effet, pour superposer deux figures par hypothèse distinctes dans l’espace, il faut déplacer au moins l’une d’elles ; on postule donc implicitement qu’elle ne change pas de grandeur ni de forme dans ce déplacement : car si elle devenait

  1. Revue philosophique, juin 1889 (tome XXVII).