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M. Renouvier. Que si la « construction ne peut jamais atteindre à la généralité de l’énoncé, mais dépend du cas particulier de la figure », c’est là un reproche qui s’adresse en général à toutes les démonstrations géométriques fondées sur l’intuition, et qui surprend de la part d’un auteur qui fait reposer les définitions géométriques sur des faits d’intuition ; les remarques que nous avons faites plus haut sont propres à lever ces scrupules et à justifier les deux théorèmes en question dans leur extension aux lignes brisées. Quant aux lignes courbes, on en définit la longueur dans le calcul intégral, car l’un des objets de ce calcul est précisément l’évaluation des longueurs curvilignes, qui échappe à la géométrie élémentaire. La longueur d’un arc de courbe est la limite vers laquelle tend le périmètre d’une ligne brisée inscrite dans cet arc et dont tous les côtés tendent à s’annuler. On démontre que cette limite existe, et qu’elle est unique[1]. M. Renouvier semble croire que la longueur d’une courbe existe par elle-même, et est une grandeur distincte de la limite des périmètres des lignes brisées inscrites, qu’on identifie arbitrairement à cette limite. C’est ce que les mathématiciens ne sauraient lui accorder, puisque pour eux cette limite est par définition la longueur de la courbe. Le « passage des lignes polygonales aux lignes courbes » est donc légitime, et par là on achève de démontrer dans sa généralité cette proposition : « La ligne droite est le plus court chemin d’un point à un autre », qui n’a de sens que lorsqu’on a défini la longueur d’une courbe. Voilà pourquoi « Euclide n’a pas comparé sous le rapport de la longueur des lignes droites à des lignes courbes ». Ni lui ni aucun autre géomètre n’a songé à les comparer directement, parce qu’en effet elles sont incomparables. Non seulement la ligne droite est l’étalon de longueur, mais elle est la seule ligne qui ait primitivement une longueur, de sorte que ce qu’on appelle la longueur d’une courbe se réduit à une longueur rectiligne : c’est ce qu’exprime à merveille la locution « rectifier un arc de courbe » par laquelle on désigne en analyse le calcul de la longueur de cet arc.

Le postulat de perpendicularité n’existe pas plus que le postulat de la droite comme distance, et pour les mêmes raisons. M. Renouvier distingue dans un angle la qualité, c’est-à-dire la configuration, et la quantité, c’est-à-dire l’ouverture, qui devient sensible quand on engendre l’angle par la rotation d’un de ses côtés ; et il discerne dans la proposition : « Tous les angles droits sont égaux » deux sens de l’égalité : l’égalité arithmétique ou de mesure, et l’égalité géométrique ou de position. C’est la synthèse de ces deux égalités hétérogènes qui constituerait le postulat de la mesure de l’angle. Or on n’a pas à faire cette synthèse, car l’égalité arithmétique des angles est logiquement postérieure à leur égalité géométrique, c’est-à-dire à la possibilité de leur superposition ; et c’est justement parce que tous les angles droits sont égaux qu’on peut les prendre pour unité de mesure. La constance de l’angle droit est donc le fondement de la mesure des angles ; et loin de s’ajouter synthétiquement à l’égalité de position, l’égalité de mesure s’en déduit anahjtiquement. En effet, c’est par des superpositions et additions d’angles droits et de fractions aliquotes d’angle droit qu’on mesure tous

  1. Cf. Rouché et Comberousse, op. cit., note II.