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nésie continue. À défaut d’un mot nouveau qu’il n’ose proposer (amnémosynie), M. Janet désigne par là une maladie mentale, non encore étudiée, qui consiste dans la perte non plus du contenu, mais de la faculté même de la mémoire. Ce n’est pas seulement l’acquis qui semble aboli : c’est l’acquisition qui est désormais impossible. La description des cas si curieux qui ont été observés, les expériences si ingénieuses qu’il a tentées pour analyser les caractères de la maladie, servent à M. Janet de point de départ pour une interprétation psychologique. Avec une grande clarté il que la cause de cette amnésie est non pas une perturbation physiologique, mais un trouble de la conscience ; le sujet possède le souvenir lui-même, mais il ne possède pas la faculté de le rapporter à son moi et de dire : je me souviens, et cela parce que des idées fixes interrompent la continuité de la vie psychique et le jeu normal des associations : en un mot, parce que, comme disaient les anciens psychologues, l’activité intellectuelle cesse d’être soumise aux formes de l’unité et de l’identité, conditions nécessaires de l’exercice complet de la mémoire. Et ainsi se confirme ce qu’ont entrevu déjà les meilleurs esprits de ce temps, c’est-à-dire que l’étude des maladies mentales, poursuivies avec une impartialité et une largeur vraiment philosophiques, mettront en pleine lumière l’autonomie de l’esprit et justifieront les déductions en apparence les plus téméraires de l’idéalisme.

Le Mind (nos de janvier, avril, juillet) contient deux articles relatifs aux questions psychologiques, et qui pourront servir aux lecteurs français de documents intéressants sur l’évolution de la psychologie anglaise contemporaine.

— M. Ward, l’auteur de l’article « Psychologie » dans l’Encyclopédie britannique, essaye d’établir (n° de janvier), par l’examen critique des variations de doctrine de Wund et des théories psychologiques de Munsterberg, l’impossibilité de réduire la conscience à une simple succession de phénomènes intellectuels, comme le veut le présentationisme. L’opposition du sujet et de l’objet, ou encore du sentiment et de la volonté, d’une part, de la connaissance objective, de l’autre, est, suivant M. Ward, irréductible et reste le fondement d’une psychologie complète.

— M. F. H. Bradley (n° d’avril) répond à l’article de M. Ward par une courte note, intitulée : la Conscience et l’Expérience. Le postulat de M. Ward est l’identification de la conscience et de l’expérience ; — si par conscience nous entendons : existence d’un objet pour un sujet, le postulat est discutable.

1. La conscience est contradictoire, a. La relation du sujet et de l’objet est une relation dont un terme (l’objet) est donné, l’autre non. b. Un terme ne peut être connu purement en tant que terme d’une relation : une relation implique « une qualité qui est plus que la relation, quoiqu’elle en dépende ». c. Dira-t-on que la conscience devient une donnée lorsqu’elle est conçue comme conscience de soi ? mais la relation de l’objet à la conscience de soi doit elle-même être pensée par un sujet, et ainsi de suite à l’infini.

2. La conscience n’est pas primitive. Le primitif c’est le sentiment, ou expérience immédiate sans distinctions ou relations internes.

3. La conscience, à un certain moment, existe ; mais le sentiment existe toujours. Dans toute expérience, il y a un élément de sentiment ; dans toute expérience, il y a un arrière-plan senti, sur lequel reposent l’unité et la continuité de nos vies, supprimées par l’Associationisme.

De là d’importantes conséquences. Par exemple est ce que la conscience implique la conscience de soi ? Dans la relation de l’objet à la conscience de soi, l’objet n’est, en réalité, qu’une partie de l’objet constitué par la relation tout entière et les termes de la relation. Quant au sujet, par et pour lequel nous disons, par métaphore, que l’objet existe, il n’est pas, à proprement parler, en relation avec lui. Dès que nous en faisons un objet pour la réflexion, nous engendrons une nouvelle expérience, distincte d’un nouveau sujet senti. « Prenons un fait d’expérience tel qu’un désir ; nous avons une expérience totale sentie, mais dans cette unité nous distinguons un arrière-plan qui n’est pas un objet. Le désir contient des termes, une relation, et du plaisir et de la peine. Mais il contient en outre une masse indéfinie de sentiment, qu’il me semble absurde d’appeler objet. »

Signalons également dans les nos de janvier, avril et juillet, une polémique entre M. William James et M. F.-H. Bradley, sur la « simple ressemblance » : la ressemblance est-elle une donnée immédiate de la conscience, ou, au contraire, une ressemblance peut-elle être conçue autrement que comme une identité partielle ? — Signalons de plus un premier article de M. Ward (n° de juillet) : Assimilation et Association, sur lequel nous aurons occasion de revenir.


Coulommiers. — Imp. Paul BRODARD