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toujours toute faite d’avance. Si les élèves assistaient à la préparation de la leçon, à la bonne heure : mais c’est alors dans le cabinet de travail du professeur que serait la vraie classe. Au contraire, le dialogue, avec sa vie propre, avec ses ébauches d’idées peu à peu mises au point, répond mieux au désir légitime de M. Bernès : il montre mieux comment une pensée se fait. — L’exemple que la leçon est seule à pouvoir donner, c’est l’exemple, non d’une pensée qui se fait, mais d’une leçon qu’on fait. Et si c’était là ce qu’il faut apprendre aux élèves, M. Bernès aurait cent fois raison. Mais qui ne sait que ce n’est pas de cela qu’il s’agit, mais de leur apprendre à voir juste ?

Voici le deuxième et dernier argument de M. Bernès : le monologue peut parfaitement être compris de tous. Le vrai professeur, pendant qu’il fait sa leçon, lit les impressions des élèves « sur leur physionomie, dans leur attitude, dans leur manière d’écrire » ; il devine infailliblement l’état d’esprit de tous ses auditeurs ; il modifie aussitôt sa leçon en conséquence. — Le portrait est superbe, mais n’inspire-t-il pas quelques réflexions qu’il n’était pas fait pour inspirer ? — N’y voyons-nous pas, d’abord, qu’une leçon est d’autant meilleure qu’elle ressemble plus à un dialogue, qu’elle en a davantage la vie, et la souplesse, et la portée individuelle ? Et si une leçon gagne tant à ressembler à un dialogue, pourquoi ne pas la transformer franchement en dialogue ? — N’est-il pas évident ensuite que le professeur capable de parler avec cette liberté intellectuelle, avec cette clairvoyance, avec cette divination de l’état d’esprit de chaque élève, avec ces ressources d’improvisation aussi, sera terriblement rare, — plus rare à coup sûr que le maître capable d’un dialogue fécond ? — N’est-il pas indiscutable enfin que, puisqu’il faut absolument le connaître, cet état d’esprit des individus, le plus sûr et le plus pratique est encore de s’en informer en causant avec eux ? Procédé grossier, je le veux, mais plus modeste et plus infaillible qu’une confiance absolue en nos facultés intuitives et divinatoires.

Voilà le plaidoyer de M. Bernès : nous étonnerons-nous de cette excessive brièveté ? Évidemment non. Elle est le fait, non de l’auteur, mais du sujet. Quand on a une fois dit, de la méthode traditionnelle, qu’elle est traditionnelle, et qu’elle fait gagner un peu de temps, il semble bien qu’on en ait dit tout le bien qu’on en pouvait dire.

Récapitulons ; et, en tenant compte des indications de M. Bernès, établissons le bilan de notre méthode.

D’abord M. Bernès reconnaît la nécessité du dialogue. C’est là un premier point hors de débat, seulement il croit pouvoir, avec le dialogue, concilier le monologue. Nous, pour des raisons tirées de l’expérience, et que nous avons exposées, nous ne croyons pas cette conciliation possible. Et alors, logiquement, le dialogue étant nécessaire, nous sacrifions le monologue.

Une seconde vérité qui se dégage de toutes les réflexions de M. Bernès lui-même, c’est, nous l’avons vu, que la leçon doit ressembler le plus possible à un dialogue. Savoir, tout le temps de sa leçon, où en sont les attentions ; la modifier suivant les résistances intellectuelles ; tenir compte des impressions de chaque élève ; donner l’exemple d’une pensée qui se fait : voilà pour M. Bernès, la tâche du professeur : or il est clair que le dialogue