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trop effacé : ce ne sera plus lui qui guidera la classe, mais la classe qui le guidera. C’est lui qui s’abaissera au niveau des élèves, au lieu de les élever au sien. — Pourquoi ? M. Bernès ne donne pas ses raisons, et elles ne sont pas d’elles-mêmes évidentes. J’excite les élèves à présenter, puis à trouver des vérités qu’ils ignoraient : est-ce m’abaisser jusqu’à eux ? J’accepte leurs bonnes réponses, je critique ou je fais critiquer les mauvaises, j’extrais de toutes ce qui s’y trouve de viable : est-ce me laisser guider par eux ? — Pourquoi le dialogue nous empêchera-t-il de nous élever ? On ne le voit pas. Une idée que vous ferez comprendre au moyen d’une exposition impersonnelle et rapide, à fortiori la mettrons-nous au plein jour par une maieutique insistante et individuelle. — Ce qui est vrai, c’est que nous ne monterons pas au-dessus de la portée des élèves, que nous ne prendrons pas notre essor au-dessus de l’atmosphère où ils peuvent vivre et se soutenir. Le dialogue ne paralyse pas, il modère. — Ce qui est vrai aussi, c’est que nous serons forcés de changer un peu notre style : au lieu des grands mots techniques, nous traduirons en termes clairs et familiers les questions compliquées. Rien de plus utile. Le dialogue ne nous rabaisse pas : il nous simplifie.

Au fond, les critiques de M. Bernès ne s’adressent pas à notre méthode, telle que nous la concevons : elles s’adressent à une autre conception du dialogue, beaucoup plus systématique, absolue et sans nuances. Ce qui déplait à M. Bernès, c’est un dialogue sans direction, un dialogue où le professeur cesserait d’être professeur, cesserait d’orienter et de conduire, se ferait lui-même le simple camarade de ses élèves, abdiquerait tous ses droits, même sa compétence et son autorité. Est-il besoin de dire qu’à nous aussi cette méthode déplairait : que nous aussi nous la trouvons chimérique ; et que jamais nous ne l’avons proposée ? — M. Bernès n’aimerait-il pas les systèmes plus qu’il ne le dit ? Il en voit là où il n’y en a jamais eu.

Quels sont maintenant les arguments de M. Bernès en faveur du monologue ? Là était la partie vraiment importante de sa tâche, et il y a là de quoi piquer notre curiosité. — Or j’en distingue deux, et je crois bien n’en pas omettre.

Voici le premier : le cours est nécessaire pour donner aux élèves « l’exemple vivant d’une pensée qui se fait », pour leur montrer comment fonctionne un bon esprit. Et, retournant spirituellement contre moi une image que je m’étais permise, M. Bernès dit : a Que penserait-on d’un professeur de gymnastique, qui voudrait faire exécuter à ses élèves des mouvements qu’il n’aurait pas d’abord exécutés lui-même devant eux ? » — Est-ce vraiment là un privilège du monologue ? M. Bernès continue à guerroyer contre un système qui n’est pas le nôtre. Ah ! s’il s’agissait d’un dialogue des élèves entre eux, le mot porterait, et on pourrait nous comparer à des maîtres de gymnastique immobiles. Mais il s’agit d’un dialogue des élèves avec le professeur ; donc le professeur exécute les mouvements et donne l’exemple ; donc le dialogue n’est pas, sur ce point, inférieur au monologue. — Je m’empresse d’ajouter qu’il a même une évidente supériorité. Car enfin, s’il s’agit de donner « l’exemple vivant d’une pensée qui se fait », le monologue n’y semble pas particulièrement propre, la pensée étant presque