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L’objection qui peut être posée par le métaphysicien substantialiste est la suivante ; et il est bien probable que plus d’un lecteur nous l’aura déjà faite. Elle est fondée sur le caractère qu’a la vérité d’être indépendante de l’esprit individuel.

Dire que l’idée du vrai n’est pas distincte de ma conscience intellectuelle, n’est-ce pas dire que je dispose de la vérité ? La vérité ne s’impose-t-elle pas à moi comme un objet ? La conscience intellectuelle elle-même est posée comme vérité en dehors de ma conscience actuelle ; elle est donc objet, objet immédiat interne, mais objet ; je la saisis par une intuition. En tant que vérité elle cesse d’être moi ; à moins qu’on ne la suppose encore identique au moi dans l’inconscient ; mais on la rend alors naturelle, on la distingue de cette conscience moralement efficace que seule je connais ; et ainsi on la fait rentrer dans la nature, dans l’être. Dire que le moi inconscient devient conscient pour lui-même, c’est précisément le faire rentrer dans l’ordre de la nature, de l’objet, distinguer donc le moi intellectuel tel que je le saisis, et la vérité efficace qui le maintient quand la conscience cesse d’être actuelle. Sans doute on peut admettre avec Pascal que je puis ou non aller à la vérité : cela est œuvre de volonté. Mais que je sois cette vérité même, de sorte que c’est pour ainsi dire par un même mouvement que je choisis et que je crée la vérité, c’est ce qui ne se peut admettre. « Connaître, ce n’est pas le moins du monde inventer[1]. »

Et que devient ce moi pur, quand je n’y songe pas, quand je m’en souviens seulement, sans en penser les raisons, quand je dors ?

Enfin, je ne suis pas seul à connaître cette conscience intellectuelle, mais d’autres raisons la connaissent comme moi ; d’où n’y a-t-il pas nécessité d’admettre comme faisaient les métaphysiciens, et en vertu même de cette considération, une lumière hors de nous, et cependant intérieure, soleil des intelligences, dont la raison humaine est un reflet ? Ainsi donc la conscience intellectuelle n’est que le prolongement en moi d’une réalité plus profonde qui la maintient, pendant que je l’oublie.

Et cet au-delà de la raison peut être dit aussi le principe de la nature, qui gravitant vers la même vérité est comme pénétré par ce prolongement infini de moi-même ; de sorte que Dieu diffère de

  1. M. Ollé-Laprune, la Philosophie et le temps présent.