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L’imitation est-elle la seule cause sociale des similitudes sociales et, parmi celles-ci, des similitudes juridiques, les inventions elles-mêmes ne devenant causes, au point de vue sociologique, que lorsqu’elles ont été imitées ? Dire que l’imitation est la seule cause sociale de ces similitudes, c’est dire que par elle s’expliquent toutes les similitudes dont l’existence de la société est la condition nécessaire, et dont par conséquent la simple analogie du milieu physique et de la constitution physiologique ne suffirait pas à expliquer l’existence chez des êtres vivants et conscients. Si, comme le fait M. Tarde dans les Lois de l’lmitation, on définit la société par l’imitation mutuelle, sa théorie se trouve évidemment démontrée a priori et avant tout examen des faits particuliers. Mais la démonstration ne repose alors que sur une pétition de principe, et M. Tarde reconnaît lui-même que cette définition convient moins à la société qu’à ce qu’il appelle la socialité. Si l’on entend au contraire par société une pluralité d’individus conscients qui se savent ou qui se croient liés par des relations pratiques, c’est-à-dire qui se considèrent les uns par rapport aux autres comme des causes possibles de plaisir ou de douleur, définition qui ne préjuge aucun système particulier, la théorie de M. Tarde cesse d’être évidente a priori et par la simple analyse de l’idée de société.

— Il y a plus, l’étude des idées d’imitation et d’invention montre alors que cette théorie est inexacte. Parmi les inventions en effet, il en est, comme par exemple celle du langage, du commerce, du droit lui même, qu’on peut appeler inventions sociales, parce qu’elles supposent dans l’individu qui les fait la croyance à l’existence de la société, au lieu que la découverte de la loi de l’attraction ou l’invention de la locomotive ne reposent pas sur cette croyance. Or M. Tarde, lorsqu’il étudie l’influence de l’imitation, suppose déjà donnée l’existence du langage, du commerce, du droit et ne recourt à l’imitation ni pour expliquer ces similitudes, ni pour rendre compte de similitudes plus particulières et qui résultent de l’action réciproque des précédentes les unes sur les autres, comme par exemple l’existence d’un droit commercial. C’est que ces inventions, dont l’existence est nécessaire à la durée de tout groupement social, sont les effets, toujours et partout semblables, d’une cause semblable partout et toujours, à savoir l’existence même d’un groupe social durable, cause purement sociale par sa définition même, et qui pourtant ne se confond pas avec l’imitation. — À côté des similitudes dues à l’imitation, il faudrait donc compter, parmi les similitudes d’origine sociale, les inventions sociales nécessaires, c’est-à-dire celles que la logique de l’invention déduit nécessairement du désir d’un groupement social stable, désir qui lui-même résulte nécessairement : 1° du désir d’éprouver la plus grande quantité possible de plaisir et la plus petite quantité possible de douleur ; 2° de la croyance à l’existence d’autres individus conscients qui peuvent être pour nous causes de plaisir ou de douleur ; 3° de la croyance qu’un groupement social stable est propre à nous procurer plus de plaisir et moins de douleur qu’un groupement social instable ou que l’absence de tout groupement social.

Si l’imitation n’est pas la seule cause sociale des similitudes sociales et juridiques, n’en est-elle pas au moins la cause principale, et par suite son étude ne reste-t-elle pas le principal objet d’une sociologie pure ? Mais si