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central en jurisprudence, comme la théorie de la valeur est le problème central en économie politique, il ne faut pas tenir compte seulement, comme le font les romanistes qui fondent toute obligation sur un contrat, des volontés, des désirs qui sont en présence ; il faut tenir compte aussi des jugements, des croyances. Or le syllogisme sert de règle à la volonté comme au jugement ; à côté du syllogisme intellectuel, qui combine deux croyances, il y a le syllogisme moral qui combine une croyance et un désir ; et celui-ci dicte des devoirs d’action comme celui-là des devoirs d’affirmation. Je désire avoir une source dans mon jardin ; or je crois qu’il y a à tel endroit une nappe d’eau souterraine ; donc je dois y creuser un puits : voilà le syllogisme moral. Il y a plus : c’est seulement si l’on tient compte des degrés inégaux de croyance et de désir ainsi combinés que l’on comprend comment l’accord ou le désaccord entre les conclusions de deux syllogismes intellectuels ou moraux qui se rencontrent dans l’âme d’un homme peut être autre chose qu’un choc destructeur ou un accouplement stérile. De ces combats de syllogismes, la logique classique tirait seulement la destruction des conclusions contradictoires, supposées de force égale, et la confirmation naturelle de deux conclusions n’ajoutait rien à leur certitude considérée d’avance comme absolue. — Par cette théorie nouvelle du syllogisme s’explique l’obligation juridique. L’obligation juridique est une espèce dont le genre est l’obligation morale. Quand je me sens obligé, c’est que je veux atteindre un but, et que je crois, par tel moyen, y parvenir. Quand cette obligation est une de celles que le législateur s’est senti obligé à sanctionner, parce qu’il désirait atteindre tel but et qu’il croyait, par tel moyen, y parvenir, je ne suis pas seulement obligé moralement, mais juridiquement. Ainsi on peut rendre compte de toutes les obligations juridiques, qu’elles soient involontaires et formées sans contrat, ou volontaires et contractuelles, ou volontaires et unilatérales. Et par la nature et l’énergie variables ou uniformes du but que le législateur poursuit, par la nature et l’énergie variables ou uniformes des opinions qui le dirigent, s’expliquent les différences ou les ressemblances des diverses législations. Soit par exemple les causes de nullité, relativement uniformes, des engagements civils. Les vices qui les atteignent sont de deux sortes : ceux qui ont trait à la majeure et ceux qui ont trait à la mineure du syllogisme moral de l’obligé. La majeure est viciée quand le désir qu’elle exprime n’émane pas de la personne même qui s’oblige, mais lui a été suggérée du dehors par captation, par abus d’autorité ou par un accès de folie. La mineure est viciée, quand la croyance qu’elle contient est l’effet non de l’intelligence de l’individu qui s’oblige, mais d’un mensonge intéressé ou d’une erreur due à une cause maladive. Ajoutez à ceci que dans l’esprit du législateur et dans celui de l’obligé, il y a d’ordinaire, non pas un seul syllogisme, mais un concours ou un conilit de syllogismes, que l’un et l’autre choisissent entre des valeurs plus ou moins grandes, que toute influence qui aura pour effet d’accroître ou de diminuer la croyance ou le désir dans la majeure ou la mineure de chacun de ces syllogismes accroîtra ou diminuera la valeur apparente de tel objet et décidera par là du résultat de la lutte. Vous comprendrez alors la relation logique de la théorie écono-