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sion — des procédés des sciences voisines, et à force de généralisations faciles et de métaphores, de se donner les apparences d’une science positive. Elle en est, comme les enfants qui jouent aux grandes personnes, à la période d’imitation. De là l’ignorance du point de vue proprement humain et psychologique : celui de l’homo duplex ; de là, la généralisation hâtive de certaines vérités physiologiques, telles que le dogme du réflexe, l’inhibition, la relation de la sensation et du mouvement, isolées du détail précis des expériences ; de là encore la valeur exagérée attribuée aux procédés précis de mesure, à la statistique, le pédantisme de l’exactitude ; de là enfin l’affaiblissement du sens psychologique proprement dit qui s’apprend par les œuvres littéraires, morales, métaphysiques même. Car il suffirait de transposer la langue métaphysique pour trouver dans les œuvres d’un Descartes, d’un Leibniz, d’un Kant un trésor d’observations qui enrichiraient heureusement la psychologie dite scientifique, parfois aussi élémentaire que la psychologie de M. Garnier.

C’est surtout en effet la défiance de la métaphysique qui a retardé le passage à l’état positif et l’affranchissement de la psychologie. Les empiriques ont commis sur ce point une erreur analogue à celle qui s’est produite dans tous les autres ordres de sciences morales. Ils ont regardé comme seuls positifs les concepts qui seuls jusque-là avaient reçu une forme positive : comme au contraire les concepts relatifs à l’esprit avaient été presque uniquement l’objet de spéculations métaphysiques, comme en particulier les cousiniens et M. de Biran avaient traité la psychologie comme une métaphysique, ils se sont imaginés que ces concepts ne pouvaient s’accommoder à une étude positive. Mais il n’y a pas de concepts qui soient positifs et d’autres non ; il y a une façon positive ou plutôt critique de les étudier, quels qu’ils soient : le concept de matière n’est pas plus positif que celui de volonté. Il a semblé de même à quelques esprits que les vérités religieuses, compromises par le dogmatisme de la foi ou les spéculations dialectiques des métaphysiciens, ne pouvaient s’ajuster au niveau de la raison critique. Or dans l’ordre tout entier des choses morales (quoi qu’on pense d’ailleurs de la possibilité d’une spéculation qui les justifierait plus pleinement), il s’agit de retrouver en les dépouillant de la forme absolue que leur donnait si aisément la métaphysique, et en leur laissant seulement la signification modeste que permet leur application à l’expérience, toutes les vérités qu’aux yeux de certains leur alliance avec la métaphysique a compromises.

La psychologie particulièrement a besoin d’un renouvellement semblable ; — et il faut pour cela que le psychologue prenne conscience du point de vue proprement psychologique qui est celui de la dualité humaine, et de l’esprit de finesse et de réserve qu’il faut apporter en ces choses. La psychologie positive a commencé, comme cela est naturel — l’esprit avide de certitude s’élançant d’abord vers l’abstrait, — par où elle aurait dû tout au plus finir (à supposer que cette méthode fût généralement applicable), — par l’explication abstraite : nous entendons par là l’explication par les éléments. Or la psychologie doit commencer, et même — sauf pour les phénomènes inférieurs — s’en tenir pour la plupart des cas à une analyse de la réalité