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ENSEIGNEMENT




SUR L’ENSEIGNEMENT DE LA PHILOSOPHIE




M. C. Mélinand a soulevé, dans le numéro de mars de cette Revue, une question de grande importance, l’emploi du dialogue dans l’enseignement de la philosophie. J’ai eu l’occasion de me convaincre que, même dans le cas que M. Mélinand estime le moins favorable au dialogue, c’est-à-dire quand la causerie s’engage après la leçon sur les objets traités dans cette leçon ou les leçons précédentes, on peut aisément accoutumer les élèves à prendre part à la discussion. Pendant que je faisais un cours de psychologie à l’Université de Kazan, je consacrais deux heures par semaine à ce que je nommais « exercices pratiques de psychologie », correspondant à peu près aux « Practica » des Universités allemandes. Je demandais en général, au commencement, si personne n’avait aucune question à poser au sujet du cours ; si je n’obtenais pas de réponse, je soulevais moi-même une question préparée d’avance, et je demandais à mes élèves leur opinion et leur expérience psychologique au sujet du problème. Les étudiants ne se gênaient pas pour exprimer des opinions contraires à la doctrine de mon cours, car ils étaient avertis que ces opinions avaient eu des défenseurs parmi les penseurs les plus éminents de l’humanité. Il s’agissait non seulement de réfuter, mais aussi d’expliquer comment une doctrine, qui avait été exposée dans le cours comme fausse et contradictoire, avait pu néanmoins paraître vraie à des philosophes profonds. De cette manière les étudiants reproduisaient dans notre auditoire les grandes luttes de la pensée qui ont agité pendant des siècles l’esprit des philosophes représentant des points de vue différents. Il n’y a pas peu de questions de ce genre. Le problème du libre arbitre nous a occupé pendant plus d’un mois, la réfutation des théories de l’inconscient a pris quelques semaines, nous avons discuté la relation du corps et de l’âme, la nature de l’âme, l’origine des idées, la théorie de la mémoire et son application à l’étude des langues, les conditions du développement intellectuel, la suggestion mentale et la télépathie. Ces discussions n’étaient pas un simple commentaire du cours : elles en formaient le complément, et rendaient claires les questions les plus difficiles, qu’on ne pourrait enseigner à fond par un simple exposé didactique.