Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/476

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant pas un danger grave ? L’idée du but à atteindre ne va-t-elle pas nécessairement réagir sur le principe même de la philosophie, intervenir dans l’enchaînement logique des concepts ? Une idée préconçue s’introduira dans la déduction ; agissant comme une fin transcendante, elle adaptera le système à elle du dehors et elle en altérera la forme naturelle. Il s’agit donc de se préserver d’un défaut qui a corrompu presque toutes les doctrines morales des hommes, il s’agit de substituer définitivement à des préjugés arbitraires des jugements réels. Pour parvenir à ce résultat, il faut d’abord partir de définitions précises. La définition est bien, comme dit Spinoza, le pivot de la méthode (I, 31), la définition est l’épreuve du concept, elle en fonde la vérité, parce qu’elle en fait voir l’origine, et parce qu’elle en limite l’étendue, elle le garantit de l’erreur. Il faut aussi que la démonstration se fasse suivant un procédé capable d’assurer l’ordre rigoureux des propositions, et d’exclure toute interversion, de telle sorte que l’esprit aille toujours du connu à l’inconnu, du principe à la conséquence. En un mot, la philosophie doit être exposée de la même façon que la géométrie. Le caractère propre de la méthode mathématique c’est en effet l’exclusion des causes finales, la considération unique des essences et de leurs propriétés (I, 71). Grâce à l’emploi de cette méthode, la philosophie se composera de vérités qui s’engendrent et s’enchaînent d’elles-mêmes ; elle se crée en quelque sorte par sa seule vertu interne, et se traduit exactement dans les formes de la démonstration ; le progrès de la science est adéquat aux progrès de l’esprit. L’application de cette méthode à la philosophie, en particulier à la morale, ne saurait donc être envisagée comme un fait indifférent. Elle signifie qu’il faut se débarrasser des habitudes intellectuelles que notre enfance, notre éducation, nos goûts, notre conduite antérieure et nos intérêts pratiques nous ont fait involontairement contracter ; il faut écarter tout préjugé pour faire œuvre véritable d’intelligence. Un système original et libre réclame, pour être entendu, une pensée originale et libre. La méthode géométrique est apparue à Spinoza comme l’instrument nécessaire pour cette œuvre d’affranchissement et de purification. De plus, la rigidité de ses formes extérieures, la continuité de son développement intime, lui semblaient également propres, une fois le principe établi, à prévenir toute erreur dans le développement des conséquences, car elles empêchent que la pensée ne s’égare sous l’influence d’une pression étrangère, surtout qu’elle ne subisse un temps d’arrêt et ne