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progrès constant de l’intelligence. Ce progrès interne fait de l’esprit un véritable automate. L’automatisme réalise pour l’esprit la perfection de la liberté, la vérité, qui forme un système clos, peut être tout entière saisie par cet automate, et ainsi se justifie complètement la formule qui énonce le principe profond de la conception spinoziste, l’identité de la vérité et de l’intelligence : verum sive intellectus (I, 23).

Cette conception de l’esprit, sous la forme que lui donne la présente déduction, se déroule et s’achève uniquement à l’aide d’affirmations positives ; elle ne contient donc point le principe d’une restriction ou d’un obstacle ; ne sera-t-on pas en droit d’en conclure que rien ne peut limiter l’aptitude de l’intelligence à connaître, ni l’étendue de sa compréhension ? Et c’est bien, en effet, ce qui apparaît au premier abord, prima fronte, comme dit Spinoza (I, 25) : il semble que l’intelligence humaine soit appelée par sa nature à posséder la vérité totale, qu’elle ne soit pas susceptible de tomber en défaillance, ou de subir une déviation. Et pourtant il est vrai que la pensée humaine procède par négation, qu’elle commet des erreurs. La seule nécessité de la démonstration précédente en est un témoignage suffisant : car elle suppose l’existence du scepticisme qui met en doute les vérités qui viennent d’être démontrées, qui nie l’existence même de la vérité. Or comment concevoir qu’il soit possible de penser, et que la pensée soit séparée de l’être et de la vérité, que leur unité soit brisée ? Si la négation et l’erreur coexistent avec l’exercice de l’activité intellectuelle, le rapport immédiat entre l’idée et son objet est détruit, et avec lui disparaît toute certitude. Il faut donc, en vertu des principes qui ont été établis, maintenir que seules l’affirmation positive, la connaissance vraie sont des actes réels de la pensée, qu’elles atteignent l’être, ou plutôt qu’elles sont l’être même. Le sceptique qui doute et qui nie, celui-là ne comprend pas effectivement : ou il parle contre sa conscience et n’a que le dehors et l’apparence de la pensée, ou bien alors, s’il est sincère, il faut avouer qu’il y a des hommes qui, soit en naissant, soit à cause de leurs préjugés, c’est-à-dire par quelque accident extérieur, sont atteints de cécité intellectuelle. Ceux-là en effet ne voient pas ce qui est l’évidence première : à l’heure où ils doutent et où ils nient, ils ne savent pas qu’ils doutent et qu’ils nient, ils disent qu’ils ne savent rien, et leur ignorance même, ils disent qu’ils l’ignorent, encore ne le disent-ils pas absolument, car ils craignent d’avouer qu’ils exis-