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XIV. Être et devoir. — C’est la reconnaissance de ce devoir qui constitue la vérité des jugements ; et on peut définir la vérité : la valeur propre d’un jugement. Ainsi conçue, la valeur d’un jugement ne dérive pas de sa relation avec le réel ; pour régler nos jugements sur le réel, sur l’être, il nous faudrait savoir déjà ce qu’il est, c’est-à-dire avoir déjà porté un jugement sur lui, et par suite tout jugement nouveau serait inutile. Ce qui est antérieur au jugement, ce sont simplement les représentations, un contenu de conscience que seul le jugement peut reconnaître comme réel, comme un être. L’être n’est pas un élément du jugement, mais ce qui est énoncé par le jugement.

XV. Le devoir transcendant. — Quel est donc enfin l’objet de la connaissance, objet que cette étude doit déterminer ? Si nous nous rappelons la définition de l’objet : « ce sur quoi la connaissance se règle », nous ne pouvons échapper à cette conclusion que le devoir lui-même est l’objet de la connaissance. L’opposition du sujet qui connaît à l’objet connu se ramène à l’opposition du sujet qui juge un devoir qui est reconnu dans tout jugement. L’objet n’est pas chose en soi, cachée derrière les représentations. Une chose en soi ne déterminerait aucun rapport de nécessité entre les représentations. C’est le jugement qui reconnaît entre les représentations un ordre nécessaire.

Indépendant à tous égards du sujet, ce devoir est, par définition même, transcendant. Cependant il semble que nous soyons plus que jamais confinés dans le subjectif ; dire qu’un sentiment nous informe de la nécessité du jugement, n’est-ce pas réduire la connaissance à la croyance ? En aucune manière, car la seule négation de ce devoir implique contradiction, puisque nier c’est encore juger, et il ne saurait être question de croyance à l’égard d’une proposition dont la contradiction se détruit elle-même. Il est vrai que toute affirmation relative à un objet peut se transformer en un jugement subjectif (au lieu de dire : Le soleil luit, je puis dire : Je vois luire le soleil) ; mais est-il possible de transformer un jugement quel qu’il soit de manière à en exclure le devoir transcendant ? Évidemment non, puisque juger c’est toujours reconnaître implicitement une nécessité de juger. Tout jugement — le « je doute » lui-même — est une reconnaissance de la valeur de la vérité comme valeur indépendante du sujet. Ainsi le moindre jugement, la constatation même d’un fait, implique cette nécessité de l’affirmation (échec du positivisme) sans d’ailleurs qu’il nous soit possible de passer de la nécessité du jugement à la nécessité de l’être (échec du réalisme). En d’autres termes, la chose en soi est problématique, et le jugement n’est incontestable et transcendant que dans sa forme (nur in der Form).

XVI. Le Relativisme. — Dans ces conditions, ne retombons-nous pas du positivisme et du réalisme dans le relativisme ? Quelle réponse reste possible à cette question : Y a-t-il une vérité en général ? Toute vérité n’est-elle pas relative ? Autrement dit, si c’est au sentiment à décider entre deux affirmations, ne peut-on admettre que deux propositions contradictoires ne s’excluent pas nécessairement, le choix entre l’une ou l’autre étant affaire de goût ou de caprice. À cette objection, M. Rickert se contente de