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Le problème de la diversité des formes qui représentent la vie organisée est, à vrai dire, des plus déconcertants. Au point de vue le plus général, au point de vue métaphysique et originel, il est impossible à l’intelligence humaine de concevoir la raison d’une diversité, d’une différence quelconque dans l’être. L’être conçu comme nécessaire, absolu, existant par soi, satisfait pleinement l’esprit ; l’esprit se repose dans ce concept comme dans l’œuvre la plus naturelle de sa fonction la plus haute. Mais le concept d’unité est corrélatif de ce concept de nécessité ; on ne conçoit pas l’être nécessairement double ou triple ; la multiplicité a quelque chose de contingent qui n’a point échappé à Spinoza. S’il y a mille milliards d’étoiles, il pourrait y en avoir une de plus ou une de moins sans que l’esprit y trouvât contradiction. Mais, dira-t-on, il ne peut pas y en avoir davantage parce que les données initiales de la mécanique céleste et ses lois ont déterminé ainsi le fonctionnement de la matière incandescente dans l’espace. C’est reculer la difficulté, car la quantité initiale de matière divisible apparaît arbitraire, irrationnelle à l’esprit : pourquoi pas un atome de plus ou de moins ? L’esprit ne voit aucune nécessité dans le dosage des éléments primitifs de l’Univers. Pas plus qu’il ne conçoit comme essentielle à la substance matérielle telle quantité plutôt que telle autre, il ne conçoit comme essentielle à la force agissante sur la matière telle intensité initiale plutôt que telle autre. Rien ne répugne plus à l’intelligence que d’introduire le caprice, ce qu’on nomme le hasard, dans l’explication des choses ; le hasard n’étant que la part de l’inconnu dans la trame des événements, expliquer par le hasard, c’est, au fond, reconnaître qu’on ignore l’explication. Ainsi, d’un côté, nous devons admettre qu’il n’y a rien de capricieux, d’aléatoire, dans les nombres qui régissent les phénomènes, c’est-à-dire que tous ces nombres sont infailliblement prédéterminés, autant dire nécessaires, et, d’un autre côté, nous n’en pouvons en aucune façon concevoir la nécessité, car il n’y a de nécessaire à une chose que ce sans quoi elle n’existerait pas. Or l’existence d’une chose n’implique pas qu’elle soit multiple, qu’elle existe à plusieurs exemplaires ; la chose peut donc exister sans constituer un nombre.

L’être conçu nécessaire est par cela même conçu un ; le commencement de la multiplicité apparaît donc comme sans raison. Plus tard il en est autrement, les nombres pourront être nécessairement déterminés par des conditions antécédentes ; mais l’être est logique-