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comme ayant été effectivement séparé de tout substratum matériel.

On répondra que, sans doute, dans aucune science expérimentale, aucun principe d’action, de quelque nature qu’on le suppose et quelque nom qu’on lui donne : pesanteur, affinité, force musculaire, esprit, etc., ne s’est manifesté autrement qu’associé à la matière, à ce qu’il y a de plus essentiellement et irréductiblement matériel, c’est-à-dire à ce qu’on nomme la masse en mécanique. Cette association apparaît comme immédiate et indissoluble en physique et en chimie : pour la pesanteur et l’affinité, par exemple. Mais elle se révèle moins étroite, bien qu’ininterrompue, en physiologie, où le principe d’action qui régit le développement et le maintien de la forme typique de l’espèce dans l’individu s’associe, grâce à l’assimilation des matériaux alimentaires, sans discontinuité, mais par voie de substitution, à des molécules nouvelles empruntées du dehors. Cette espèce de force plastique demeure assurément toujours unie à quelque masse, mais non toujours à la même ; il y a toujours deux termes accouplés, mais un des termes du couple varie sans cesse. Or dans cette union constamment dissoute et constamment reformée, le terme persistant, à savoir le principe d’action plastique, ne se montre plus lié au terme transitoire par la même nécessité qui rive la pesanteur ou l’affinité à la masse atomique. Il y a, en effet, successivement séparation et agrégation. Il n’est donc pas inadmissible a priori que l’indépendance réciproque ait pu préexister à l’union et persister aussi longtemps que celle-ci n’aurait pas été possible. En psychologie, le rapport que soutient le principe des phénomènes appelés sensations, perceptions, images, idées, souvenirs, volitions, etc., avec la masse de la cellule cérébrale nous échappe entièrement, car nous ne concevons en rien ce qu’il y a de commun entre le monde de la conscience et le monde de l’espace, bien que la communication de ces deux mondes soit indubitable, à moins d’admettre avec Leibnitz une harmonie préétablie entre eux. Ils sont sans aucun doute en mutuelle relation, mais d’ailleurs tellement différents que nous n’avons aucune raison de supposer leur lien plus étroit que le lien physiologique.

Notre hypothèse résiste donc, nous le croyons du moins, à l’objection préjudicielle que la science expérimentale paraît tout d’abord y susciter. Nous n’avons pas besoin, du reste, de supposer que, avant l’apparition des corps vivants, le principe de la vie fût sans aucune relation avec le monde matériel. Il nous suffit de pouvoir