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qu’elle avait créé, ou, pour employer avec Descartes un langage plus exact, à l’idée que le monde devait imiter dans le temps et l’espace, que rien n’autorisait à borner et qu’on devait, en conséquence, nommer indéfinis, l’absolue et transcendante infinité qui était celle de Dieu. Et dans les profondeurs divines les oppositions pouvaient trouver une conciliation qu’était incapable de comprendre l’entendement humain. C’est ce qu’avait dit plus résolument qu’aucun autre le méditatif Nicolas de Cuss. La nature déjà paraît en offrir maints exemples. Comment nous apparaît la vie, sinon comme une sorte de mouvement par lequel le vivant se crée incessamment lui-même ? Et la vie n’est-elle pas partout dans le monde ? Qui sait même si elle n’y est pas tout ? la biologie semble tendre de plus en plus à se placer aux racines de la physique. Dans la région plus haute de la pensée humaine, ce n’est plus apparence et probabilité, c’est expérience et certitude. La « chose pensante » ne se dédouble-t-elle pas dans la conscience de soi en un sujet pensant et un objet pensé qui pourtant ne sont qu’elle, qu’une seule et unique existence[1] ? Ne trouve-t-on pas surtout, dans la « chose pensante », une volonté que ne déterminent pas, quoi qu’affirment des théories de mécanisme qui, pour l’expliquer, l’anéantissent, des mobiles différents d’elle, mais qui se détermine elle-même, cause et effet tout ensemble ? À plus forte raison en doit-il être de même dans une sphère supérieure encore, celle de l’intelligence et de la volonté entièrement pures.

Cette identification des contraires qui répugne à l’entendement humain, la théorie aristotélicienne de l’action et de la puissance et de leur rapport dans la réalité, semble pouvoir servir à en faire pénétrer dans une certaine mesure le secret.

Les contraires, formes extrêmes d’un même genre, sont, dans la réalité, une même chose aux deux moments de l’actualité et de la simple virtualité ; et si ce sont deux états dont le second est une diminution du premier, mais où celui-ci subsiste pourtant quoique différemment (έτερον τώ είυχι), on conçoit comment il peut n’être pas impossible que les contraires rentrent finalement l’un dans l’autre et se confondent dans ces abîmes que nous sondons par delà le fini, les oppositions se résolvant en identité.


Ce qui précède nous paraît résumer assez fidèlement, au moins

  1. Comp. Rapport sur le prix V. Cousin, p. 314.