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d’un grand prix. Mais peut-être peut-on observer, en lisant la compilation du commentateur, avec une clarté suffisante, la manière dont se perpétue et s’altère la tradition platonicienne, après quelques générations. Le problème, pour les contemporains de Théon, était de réconcilier la philosophie de l’idée et la philosophie de l’acte : la méthode critique de Platon, qui, étant donné le fait brut et sensible, cherche non pas ses conditions de réalité (le problème est insoluble), mais ses conditions d’intelligibilité, ses idées, — et le système réaliste d’Aristote, qui cherche aux phénomènes des substances et des causes, aux substances et aux causes une substance et une cause premières. Les « néo-platoniciens » tranchent la difficulté en divinisant l’idée, et transforment la dialectique platonicienne en théologie.


II


À cette théologie, M. Bénard s’est efforcé de prêter la forme d’un spiritualisme, où presque toutes les vérités du dogme chrétien, la Providence divine et l’immortalité personnelle, trouvent leur place. Qu’il nous suffise de montrer, dans l’absence totale de toute méthode critique, la cause de l’erreur de M. Bénard, comme aussi, dans la distinction du point de vue dialectique et du point de vue mythique, le remède à toutes les confusions auxquelles son éclectisme l’a entraîné.

Nous ne nous attarderons ni à louer dans le livre de M. Bénard tels chapitres où l’exposition est suffisamment exacte et complète (1re partie, chap. VI, du langage ; 3e partie, section ii, Politique, et section iii, Éducation, Esthétique et Rhétorique), ni à reprendre chez lui une indifférence absolue à interpréter et à systématiser la pensée du philosophe qu’il étudie, une incorrection parfois surprenante dans les citations tirées du grec, un style toujours mou et lâché. — Que dire cependant d’étourderies telles que celles-ci : « Les idées sont alors de simples modèles, des types, des essences, des noumènes, νοήματα » (p. 141) ? Mais depuis Kant on a perdu le droit de traduire νοήματα par noumènes. — Ailleurs Platon est condamné à parler la langue de l’éclectisme : « la raison avec ses idées,… tout « cela perçu par la conscience ou conçu par la raison est d’une évidente clarté » (p. 116). — Comment apprécier les à-peu-près d’expression auxquels M. Bénard a recours lorsqu’il vient plaider, en faveur de Platon, les circonstances atténuantes contre les attaques d’Aristote. « Parmi les contradictions qu’à l’exemple d’Aristote la critique ancienne et moderne a cru devoir relever chez Platon, il en est qui sont plus apparentes que réelles ; d’autres, qu’il est impossible de nier, appellent encore la réserve et l’indulgence » (p. 119). — « Cela est excessif » (p. 99). « C’est trop dire » (p. 143). « Aristote est peut-être ici trop sévère » (p. 218). — « Cette conclusion est bien dure ; il y a plus, elle est tout à fait injuste — Aristote lui-même a-t-il bien réussi à composer sa pièce » (p. 132). — Mais, surtout, quelle singulière méthode critique ! M. Bénard nous déclare qu’il s’efforcera de rester fidèle à l’esprit du système platonicien, — mais qu’il ne s’attardera pas à examiner « les difficultés qui résultent de la logique du système ». — Cela