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chacune de ces choses comme étant une et comme existant par elle-même. (P. 165.) Cette définition de l’unité fait partie d’une exposition de la théorie pythagoricienne de la tétrade et de la décade. — Voyez de même (P. 71) comment Théon nous fait assister à la génération des nombres latéraux et diagonaux. Comme l’unité est le principe de toutes les figures selon la raison suprême et génératrice (σπερματικὸν λόγον), terme stoïcien), de même aussi le rapport de la diagonale et du côté se trouve dans l’unité ;… il faut que l’unité, principe de tout, soit en puissance (δυνάμει), le côté et la diagonale. » — Mais à côté de ces théories, quoi de plus contraire à l’esprit du platonisme, quoi de plus péripatéticien, que cette distinction de la monade et de l’un (μονὰς — ὲν) : « La monade est l’idée intelligible de l’un, qui est indivisible ; nous appelons un ce qui existe en soi (καθ’ έαυτό), dans les choses sensibles, comme un cheval, un homme. » (P. 31.)

Or, si nous rejetons, comme non platonicienne, cette théorie de la réalité sensible, conçue comme unité concrète et absolue (καθ’ έαυτο), pouvons-nous retenir, par contre, comme d’origine platonicienne, la divinisation de l’un mathématique ? — Platon lui-même nous l’interdit, puisqu’il a consacré un dialogue tout entier, le Parménide, à la critique de l’idée d’être et plus exactement de l’idée de l’un conçu comme existence substantielle. — Si je dis : «l’un est », il faut que l’un ne cesse pas d’être un, parce qu’il est posé comme existant. Je puis par conséquent dire : « l’un est », mais je n’ai pas le droit de dire : « l’un est ceci ou cela », car l’un cesserait d’être un ; mais alors l’être que j’affirme de l’un est un être nu. dépouillé de toute qualification, identique au non-être. Dire : « l’un est », c’est dire : « l’un n’est pas[1] ». — Essayons donc, pour échapper à cette contradiction, de reprendre par un autre côté l’examen de la proposition. Si la proposition : « l’un est » a un sens, elle doit vouloir dire qu’au sujet « l’un, » je puis ajouter « l’être », comme un attribut distinct de ce sujet. Mais alors la proposition « l’un est » dédouble l’un ; et il sera facile de montrer, par une nouvelle déduction, que la proposition « l’un est » implique la nécessité d’affirmer de l’un tous les attributs, même contradictoires, et d’en nier cependant tous les attributs, même l’unité. Si l’un est, l’un cesse d’être un[2]. — En résumé, l’être ne peut pas servir d’attribut dans une proposition logique. — Pourrai-je donc prendre l’être comme sujet logique ? Mais l’être comme sujet logique, c’est la chose sensible, la substance des qualités sensibles — et la proposition « l’Être est », entendue de la substance sensible, est aussi contradictoire que cette autre proposition : « l’un est ». En effet l’être sera à la fois ce dont tout s’affirme, puisqu’il sera conçu comme le sujet de mes affirmations, et ce dont rien ne s’alarme, puisqu’il sera conçu comme quelque chose qui subsiste indépendamment de mes actes d’affirmation, comme ce qui reste, abstraction faite de tous les attributs qui en sont affirmés : première contradiction. De plus l’être sera tel que, de lui, dans le même instant, des affirmations contradictoires vaudront également : un doigt, identique en tant que doigt, c’est-à-dire en tant que sujet d’une proposition logique, est

  1. Parménide, 137 b-142 b.
  2. Ibid. 142 b-157 b.