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tous points semblable à celle de l’extériorisation des sensations.

C’est donc une erreur capitale que de chercher pour la psychologie un modèle à imiter dans ce qu’on appelle les sciences physiques. Nous sommes ici au point de départ de tout, devant une science (si on veut l’appeler ainsi) qui est suzeraine de toutes les sciences. Et vouloir rendre la psychologie scientifique, c’est détruire la vraie psychologie et lui donner un objet vraiment externe comme aux sciences physiques.

Que ce soit bien là la meurtrière déformation que lui infligent tous les psychologues, même les plus grands, c’est ce dont on ne peut douter quand on considère non pas même leur méthode et les moyens de preuve qu’ils emploient, mais seulement le but dernier qu’ils poursuivent. Des psychologues comme Spencer (Principes de psychologie) et Taine (de l’Intelligence) cherchent à réduire les sensations et même tous les états psychologiques à l’unité. Or, manifestement, il ne leur est possible, je ne dis pas d’atteindre, mais même de chercher à atteindre ce but que si les différences spécifiques des sensations (limitons la question aux sensations) peuvent être, en tant que telles, de pures apparences, c’est-à-dire s’il peut n’être plus vrai que, pour les états psychologiques, esse est percipi. M. Rabier, dans sa Psychologie, montre très bien la contradiction fondamentale de leur théorie : « Nul ne peut nier, dit-il[1], que les sensations ne soient plusieurs et que les différences qui les séparent n’existent en réalité, car les sensations apparaissent comme distinctes à la conscience. Et l’on ne peut ici distinguer l’apparence de la réalité puisque c’est de cet être apparent, de cette conscience même et pas d’autre chose que nous parlons. » Certes la remarque est très juste, mais d’où provient cette incroyable erreur ? De ce que, pour ces psychologues, cet « être apparent » n’est plus l’être lui-même tel qu’il s’apparaît à lui-même : c’est qu’ils le considèrent comme extérieur à autre chose, à savoir à leur moi réfléchissant et observant de penseurs : dès lors il peut être une pure apparence dénuée de réalité intrinsèque, comme telle étendue colorée que l’on croit percevoir hors de soi. C’est qu’ils ont voulu constituer la psychologie comme science : pour donner un « objet » à leur science, ils ont objectivé ce qui ne pouvait l’être et par là l’ont non seulement défiguré, mais réellement anéanti, car c’est vraiment anéantir une chose

  1. Rabier, Psychologie, p. 126.