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n’est pas le monde en soi que nous connaissons, mais le monde dans la représentation. Cette conclusion implique que le monde a un en soi. Eh bien, il y a une conclusion toute semblable à tirer ici. De ce que la pensée réfléchie se représente ce qu’elle pense « en dedans d’elle » comme un objet par rapport à elle, il suit que ce qu’elle pense, quand elle est pensée réfléchie, ce n’est pas l’état de conscience tel qu’il est en soi, mais tel qu’il est en elle. Et cette constatation implique, comme tout à l’heure, que cet état de conscience a un en-soi, affirmation qui est d’ailleurs déjà incluse aussi dans toute pensée réfléchie comme telle, car comment pourrait-elle se connaître en tant qu’ayant quelque chose comme objet d’elle-même, si elle-même n’était en soi et en outre ne se proclamait par là même exister en soi relativement à cet objet ? En résumé, le fond de la pensée, et, si l’on veut son essence, la distinction d’un sujet et d’un objet, n’est autre chose que l’affirmation de l’existence en soi du sujet quoiqu’il puisse être. Puisqu’il en est ainsi, chaque état de conscience comme tel existe en soi et n’existe en soi que comme tel, c’est-à-dire qu’autant qu’il n’est pas connu par ce que nous appelons notre moi.

Les développements qui précèdent nous dispenseront de nous arrêter longuement, car nous ne pourrions que nous répéter, sur une autre objection tirée d’une seconde forme de la thèse relativiste. On parle non plus d’une relation d’un état de conscience à un esprit comme d’un objet à son sujet, mais d’une relativité que l’on pourrait nommer intrinsèque aux représentations. On refuse aux partisans des choses en soi le droit d’en trouver dans les forces (mentales) particulières, dans les passions particulières, dans les idées particulières. Car, dit M. Renouvier[1], « il est trop manifeste que ces représentations sont relatives à d’autres du même ordre et d’ordre différent et s’évanouissent aussitôt qu’on les met à part de leurs relations ». Certes, de telles représentations sont relatives, mais pourquoi ? parce qu’elles sont jugées composées. Elles sont jugées telles à un double titre : d’abord elles sont constituées de leur fond propre et de l’idée du moi (je veux, je sens, je pense), et ensuite elles sont composées avec telle ou telle idée qui les détermine (je veux, je sens, je pense telle chose). Il va de soi que composition implique relation. Mais sans relever ici, comme nous l’avons fait plus haut, un paralogisme implicite, nous ferons simplement

  1. Renouvier, Essais de critique générale, 1er Essai, § XIII.