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connaître de choses vraies que par rapport à nous. La thèse que nous affirmions est donc une thèse meurtrière d’elle-même, comme est toute thèse dans laquelle et par laquelle l’esprit veut s’imposer des bornes à lui-même. Prendrons-nous enfin la seconde alternative, et dirons-nous que cette affirmation est absolue ? Alors, malgré qu’on en ait, la thèse se contredit, car cette affirmation est une connaissance.

En résumé, si nous ne pouvons admettre la proposition de M. Renouvier, qu’il n’y a que des phénomènes pour la connaissance, ce n’est pas que nous la jugions fausse en elle-même, mais c’est que M. Renouvier ne considère pas toute la réalité en ne considérant que la connaissance, c’est-à-dire la connaissance réfléchie. Dans ce domaine son principe est sans doute vrai. Mais il y a dans la réalité un autre domaine, celui de la connaissance spontanée, qui porte le nom de conscience proprement dite ; il y a les états de conscience purement comme états de conscience, ces états que nous sommes sans cesse successivement, et auxquels le principe phénoméniste ne peut plus s’appliquer. Le phénoménisme n’est donc pas faux, mais il n’est vrai que dans le domaine où il se restreint (pourquoi ?), c’est-à-dire qu’il est incomplet. Et dès qu’on le complète d’après la théorie que nous avons esquissée dans les pages précédentes, l’erreur et la contradiction que nous y découvrions disparaissent.

Notre théorie n’a d’ailleurs que cet avantage, puisque immédiatement après avoir rétabli l’existence de l’en-soi, nous le proclamons inconnaissable. Si nous nous sommes fait entendre, on aura compris que, à notre sens, nous sommes dans la vie mentale absolue précisément quand un état de conscience n’est pas rattaché à ce qu’on appelle le moi. De ces états de conscience absolus, on ne peut parler, puisque les penser (et il le faut bien pour en parler), c’est-à-dire se les représenter, c’est s’en donner l’illusion en les défigurant, en les rendant relatifs. Que si l’on demandait encore comment nous pouvons savoir alors qu’elles existent, ces choses en soi, nous répondrons : parce que l’on constate par soi-même (car la pensée est consciente) que l’on ne pense qu’en objectivant quelque chose dans l’esprit. Ainsi la pensée elle-même, grâce à son caractère conscient, nous indique l’erreur du relativisme absolu. Elle nous révèle une erreur du même genre en ce qui concerne le monde appelé extérieur. En effet, du fait que ce monde, pour être pensé, doit devenir objet de la pensée, tous les philosophes, au moins des temps modernes, concluent que ce