Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/250

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la loi de notre pensée, l’apparence d’un monde d’êtres matériels ou spirituels ayant une réalité propre, existant par soi, inconditionnés. L’analyse scientifique, il est vrai, dissipe cette illusion en ce qui concerne les corps, et elle est cependant contrainte de s’arrêter à la conception d’atomes dépourvus de toutes qualités, soumis seulement aux lois du mouvement : c’est le seul point de vue acceptable, celui du moins où la contradiction qu’implique l’idée de matière est réduite au minimum. Mais il est aisé de voir combien les conclusions des sciences, par suite, sont peu positives. Elles portent, en définitive, sur des liaisons de phénomènes aussi rigoureuses qu’on le voudra à les prendre du dedans, si l’on peut ainsi dire, mais qui manquent de fondement rationnel, puisque l’ensemble des phénomènes ainsi liés reste toujours inexpliqué, et puisque la conception des atomes, auxquels on est forcé de demander comme des points d’appui, est en réalité une conception contradictoire. Et lorsqu’il s’agit des phénomènes organiques, où il semble, suivant le mot de l’abbé Galiani, que les dés soient pipés, les lois que les savants nous proposent de reconnaître, nous ne devons les admettre, ils s’en doutent bien eux-mêmes, que cum grano salis.

Positive, au contraire, et seule positive est la science qui découvre la relativité et même la fausseté de nos connaissances par rapport à la nature, c’est-à-dire la philosophie. Elle prouve que les sciences proprement dites sont enfermées dans le domaine de l’apparence et ne valent que dans ce domaine, mais aussi que c’est pour elles un champ où elles peuvent s’exercer en toute liberté, où, sous la seule réserve du principe de contradiction, leurs recherches doivent aboutir à d’innombrables découvertes et aux plus imprévues. Il n’y a donc plus de conflit à redouter entre la philosophie et les sciences. Quand la philosophie était une métaphysique et prétendait connaître la cause première de toutes choses, le plus court chemin pour saisir la réalité devait être de déduire directement cette réalité des attributs libéralement prêtés à la cause première. Bon nombre de philosophes n’ont pas manqué, en effet, de tenter cette voie, sans se douter même de tous les emprunts qu’ils faisaient à l’expérience, avec l’illusion, au contraire, de la constituer de toutes pièces. Malgré ces continuelles pétitions de principes, comment auraient-ils pu arriver exactement aux résultats que fournit l’observation patiente et désintéressée des faits ? L’intervention d’une cause première était comme reculée, écartée tous les jours davantage par les découvertes