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négation du bien, implique le bien, comme le faux le vrai. Seule l’affirmation de l’absolu donne au pessimisme sa signification véritable, lui ôte son venin de dépression morale et de découragement, en fait une doctrine que peuvent avouer les plus vaillants.

Qui oserait, en effet, connaissant la nature telle qu’elle est, la déclarer bonne ? Elle consiste en l’infinité des sensations qui se réfléchissent dans les idées des êtres connaissants à tous les degrés, et ces idées, comme les sentiments et les volitions ou déterminations qui les accompagnent, en font aussi partie. Ces sensations se distinguent en sensations actuelles, c’est-à-dire actuellement connues, et en sensations possibles, dont l’existence, comme telles, est aussi réelle que celle des premières. Toutes elles sont liées entre elles par la loi de causalité dont j’ai fait connaître sommairement la déduction, de telle sorte qu’aucune d’entre elles ne peut être conçue autrement que comme l’effet d’un changement antérieur et la cause d’un changement ultérieur, mais de telle sorte aussi que l’expérience seule puisse nous révéler l’antécédent et le conséquent d’une sensation donnée ou d’un phénomène quelconque. Cette liaison nécessaire, qui nous interdit de penser à une cause première, est tout ce que le mot force, s’il a un sens, peut désigner. Les sensations possibles sont ainsi, par leur liaison avec les sensations actuelles et tous les phénomènes conscients, le grand réservoir, si l’on peut ainsi parler, d’où émerge à chaque instant — comme dans la doctrine, d’ailleurs si différente, de la création continuée — le monde que nous connaissons ; c’est là vraiment la Mère Nature chantée de tout temps par les poètes. Et cet ensemble, connu par fragments seulement, dans la suite de nos sensations, dont la plus grande part est toujours cachée à nos regards, dont chaque élément doit rigoureusement s’expliquer par ce qui le précède et ce qui l’accompagne, est lui-même inexplicable. On ne peut s’empêcher d’en chercher, on ne peut en trouver l’explication : antinomie fondamentale, inéluctable, qui donne au savoir empirique son caractère ineffaçable de relativité.

Relative, à ne considérer que les phénomènes qui constituent réellement notre monde, auxquels il se réduit, la connaissance de la nature est fausse à considérer les substances, corps et esprits, que nous croyons percevoir, et elle ne peut pas ne pas l’être. Tous ces phénomènes extérieurs et intérieurs sont, en effet, disposés de telle sorte qu’ils prennent fatalement à nos yeux, sous l’action même