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tent vraiment que dans la mesure où elles sont connues suivant certaines lois qui leur donnent seules une valeur objective. Les autres hommes aussi bien que le monde des corps ont dans ce fait de penser toute leur raison d’être et ne consistent pour nous que dans de pures idées ; Dieu lui-même n’est qu’une conception parmi les autres, et notre individualité physique et morale, enfin, n’est aussi qu’un simple objet, une création de cet acte qui nous constitue au fond essentiellement.

Et tout se passe pour nous comme s’il y avait un monde de choses matérielles, dans ce monde des hommes semblables à nous, et au-dessus de lui, d’eux et de nous-mêmes, un Dieu. Rien ne nous empêche d’étudier, en observant les méthodes les plus rigoureuses, c’est-à-dire en nous conformant à nos propres lois, ce monde d’apparences matérielles. Les sciences servent à nous révéler à nous-mêmes les innombrables créations de notre propre pensée, et il importe peu, en étudiant ces créations, qu’on en oublie la véritable nature, qu’on les suppose ou même qu’on les croie réelles dans un espace et dans un temps également réels eux-mêmes. Une induction, fondée sur des analogies, et surtout sur le fait de l’obligation morale, nous fait attribuer, d’autre part, une existence propre à Dieu et à nos semblables, c’est-à-dire nous autorise à les concevoir eux-mêmes comme des actes possibles de penser pour qui nous ne serions à notre tour que de simples représentations. Mais le vrai philosophe n’en garderait pas moins son idée de derrière la tête, et la véritable attitude philosophique serait de nous regarder nous-mêmes, non pas l’individu en nous, mais l’être pensant, l’acte de penser que nous sommes essentiellement, comme le centre du monde, ou mieux comme le support et la raison d’être ou d’apparaître de tout ce qui est ou paraît être, car rien n’est pour nous qui ne soit connu de nous, et comme créé par la connaissance même que nous en avons.

Contre cette manière de philosopher qui nous est venue d’Allemagne, Spir trouve dans l’analyse du contenu même de la conscience des arguments qui valent aussi contre le sensualisme.

Une idée suppose toujours l’existence de quelque chose qui n’est pas elle et qu’elle représente idéalement, c’est-à-dire sans en avoir elle-même les caractères. Elle est sans doute un phénomène réel, mais dont l’essence est l’affirmation d’un autre phénomène, à savoir de l’existence de son objet. S’il en est ainsi, une idée est vide par elle-même de tout contenu ; elle consiste uniquement dans le fait de