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importerait peu au lecteur de le savoir, si le début de nos relations ne faisait ressortir précisément le trait dominant de son caractère. J’avais analysé, en 1879, dans la Revue philosophique, une partie de son principal ouvrage[1]. Ces sortes d’articles ne servent pas d’ordinaire à établir des liens bien étroits entre les auteurs et ceux qui rendent compte de leurs livres ; on continue le plus souvent à s’ignorer. Je ne pensais plus à Spir depuis longtemps, quand je reçus de lui, le 7 juillet 1885, une lettre en français qui devait être la première d’une longue correspondance. Il venait de faire paraître en quatre volumes un choix de ses œuvres allemandes qui comprenait la seconde édition de son livre : Pensée et Réalité ; il me priait de le présenter au public, mais il me demandait cette fois plus et mieux qu’une simple analyse. « Dans le compte rendu de 1879, me disait-il, vous vous êtes abstenu de formuler aucun jugement sur la vérité ou la fausseté de mes doctrines ; mais vous verrez que dans la forme que je leur ai donnée dernièrement, une pareille neutralité à leur égard n’est plus possible ; tout lecteur doit forcément se prononcer pour ou contre elles. Ce que je vous prie d’observer dans un compte rendu futur, ce n’est donc pas la neutralité, mais l’impartialité. Condamnez mes doctrines toutes les fois que vous croirez, en conscience, pouvoir les réfuter ; mais, dans un autre cas, rendez-leur témoignage comme l’exigent le devoir et l’honneur scientifiques. »

Des juges, une discussion approfondie de ses théories, autant dire une approbation complète — et il était assez convaincu pour trouver de la meilleure foi du monde cette prétention naturelle, — voilà ce que Spir, en effet, a toujours demandé sans l’obtenir jamais. Il me fit l’honneur de croire que je pourrais l’aider à triompher de l’indifférence dont il était victime. Je fus dès l’abord séduit par la sincérité de sa foi philosophique. Mais ce fut à partir de 1886 que nos relations devinrent fréquentes et, par degrés, tout à fait cordiales. Après avoir reçu plusieurs lettres qui ne me satisfaisaient cependant pas sur tous les points, j’allai lui faire à Genève, où il résidait alors, une rapide visite.

Je m’attendais, d’après je ne sais quelles idées préconçues, peut-être d’après le ton et l’allure de ses lettres, à trouver un colosse, au moins un vrai Russe à la haute stature. Spir, au contraire, était de taille moyenne, plutôt petite ; la figure très douce, encadrée

  1. Denken und Wirklichkeit (Pensée et Réalité), 2 volumes.