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4. Contraste des conceptions du délit et de la guerre. — Primitivement ennemi et coupable sont synonymes ; la distinction des deux idées suppose la notion d’une guerre qui ne choque pas les sentiments sociaux élémentaires. La première forme de la guerre est l’esclavagisme, la confusion de l’ennemi et du coupable se fortifie de l’association des idées de travail et de châtiment ; il n’y a pas de droit. Mais de la guerre même sortira la dissolution de ces associations, la réhabilitation du droit. La guerre, en effet, impliquant l’union dans la lutte, donne naissance au sentiment altruiste de l’honneur national ; la guerre nationale devient une véritable procédure ; et l’ennemi est ainsi nettement distingué du coupable. Le travailleur devenant soldat, la confusion du travail et de la peine est écartée peu à peu ; « Ainsi la guerre présente une contradiction vivante ; issue de l’égoïsme individuel, elle contribue à développer la vie collective ». Le droit international, forme visible du droit naturel, est la clef de voûte de tout le droit positif, et résulte lui-même d’un contraste de la représentation de la guerre et de celle du crime.

L’idée de la dette. — L’idée de délit suggère l’idée de dette ou d’obligation. Pour l’homme primitif, la peine est une compensation ; mais dans la substitution graduelle de l’action publique à l’action privée, la compensation perdrait de son importance, si l’idée d’obligation ne s’y joignait. C’est de l’obligation, d’abord involontaire, que naît le contrat ; l’obligation devient volontaire lorsqu’on arrive à regarder la compensation réparatrice comme cause d’un bien-être supérieur, et qu’on accepte le dommage provisoire résultant de la dette. L’idée de dommage ne s’associe avec celle de compensation que parce qu’elle est associée à l’idée de garantie, et de cette association naît l’idée de pénalité. Théoriquement la peine est le refus de garantir le criminel ; en fait, c’est en vue d’éviter la vengeance collective, la substitution d’une contrainte à cette privation des garanties. C’est donc une dette de la société envers ses membres, une fonction essentielle de la vie sociale, qui apparaît, quand les sentiments vindicatifs grossiers sont déjà dominés et purifiés par des sentiments sociaux.

L’idée de droit envisagée dans sa complexité. — L’idée de droit, d’après tout ce qui précède, est une association complexe d’idées associées, dont chaque élément varie avec tous les autres. Pour nous, l’idée apparente est celle de la dette ; mais ce qui nous est dû, c’est l’abstention de délits contre notre personne et contre nos biens ; et l’idée de délit contraste avec celle de garantie ; ce qui nous est dû, c’est la garantie sociale, la solution des conflits par un arbitrage impartial. Cette idée complexe nous apparaît simple, à cause de l’association, pour nous indissoluble, des idées de dette et de garantie, et de l’effacement de l’idée d’arbitrage avec les progrès de l’idée de garantie. L’idée abstraite de droit se forme par oubli de l’idée de délit. Tel est le droit, nullement transcendant, et cependant distinct du droit positif, qui est sanctionné par les lois et toujours prescriptible ; c’est un droit idéal, qui, organisé spontanément par la conscience sociale, est imprescriptible et a sa sanction dans la nature humaine. L’analyse de l’idée d’injustice fournit enfin une contre-épreuve décisive de cette théorie.

Rapports de l’idée de droit avec l’intérêt, les conceptions religieuses, la struc-