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part, elle est indépendante de tout contenu déterminé ; elle exprime ainsi notre caractère de finité, en ce sens que notre pensée formelle est toujours en un certain désaccord avec les choses. Mais la pensée métaphysique n’est pas satisfaite ; elle demande qu’on lui rende compte de ce fait primordial que la loi ne peut exister sans un contenu ; elle ajoute que si vraiment la forme et le contenu étaient aussi exclusifs et indépendants l’un de l’autre qu’on le croit d’abord, ils ne sauraient s’accorder d’aucune façon et subsisteraient chacun pour soi : or il n’en est point ainsi. L’opposition que l’analyse nous montre entre la forme et le contenu pourrait bien n’être qu’un aspect des choses et il serait peut-être légitime de placer en face de cette opposition analytique une synthèse originale. Nous retrouvons ici la pensée de M. Dunan. Mais a-t-il résolu la question en plaçant une synthèse vitale avant l’analyse ?

Précisons la question : il faudrait montrer que la déduction analytique est unie avec la synthèse objective des choses ; plus même, qu’elles s’impliquent réciproquement ; en un mot il s’agit de concilier les inductions a posteriori que présente la nature concrète et vivante avec la pensée déductive ; les premières étant incapables de constituer une pensée autonome, la seconde n’étant qu’un formalisme vide ; il faudrait pouvoir établir une logique qui fût à la fois une déduction a priori, qui par là satisfît au déterminisme qu’exige la pensée pure, et qui ne fût pas, d’autre part, une simple méthode formelle : il faudrait établir la possibilité d’une déduction synthétique.

Kant a bien cherché à établir la possibilité des jugements synthétiques a priori, en montrant comment à certaines formes pures a priori l’esprit subsume le contenu expérimental ; on donne ainsi à la pensée la généralité et la nécessité qu’elle réclame : mais ce n’est pas là une déduction synthéthique dans le sens où nous l’entendons. Il ne suffit pas de fixer les conditions formelles de la pensée, car on est alors obligé d’admettre un contenu a posteriori, empirique, qui s’ajoute du dehors ; l’existence resterait extérieure au jugement. Il s’agit de déduire ce contenu de la forme.

Il est, croyons-nous, nécessaire d’indiquer sommairement la marche que suit la pensée métaphysique : elle laisse d’abord opérer la psychologie analytique ; celle-ci a devant elle une nature inconnue, extérieure : elle transforme ce contenu, et, comme M. Dunan l’a fort bien dit, elle le dissout et aboutit à une forme exempte de contradiction, le néant idéal. C’est là la marche que Descaries a suivie dans son doute provisoire qui n’est, en définitive, que la suppression progressive de tout contenu réel (autorité, sens, expérience, raisonnement scientifique) ; c’est aussi la méthode de la phénoménologie de Hegel qui lui permet de commencer sa métaphysique par l’être pur. C’est encore la méthode qu’a employée, dans une étude[1] demeurée célèbre, M. Lachelier : la psychologie analytique est la première forme que prend la pensée vis-à-vis des choses. Mais cette déduction analytique, après avoir détruit le contenu réel dont elle se croyait indépendante, s’annule elle-même dans son progrès. Car, ayant supprimé

  1. Revue philosophique, mai 1885, J. Lachelier : Psychologie et métaphysique.