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qu’une discussion cesse de les intéresser, que ses paroles ne mordent plus, que ses explications n’entrent plus, que les esprits sont saturés : il se sent devenir long. Au contraire, un professeur qui parle seul peut s’échauffer quand les élèves restent froids, s’emporter quand ils s’arrêtent ironiques. Rien ne l’avertit de la discordance. Il détonne avec enthousiasme, sans s’en douter. — Par suite, le professeur est plus certain d’être suivi et compris : celui qui fait sa leçon ne peut guère savoir si les esprits l’accompagnent ; il ne sent pas si telle ou telle attention ne traîne pas en arrière. Il peut s’avancer avec entrain pendant que le gros de la classe reste en détresse. Tout au plus sa propre netteté lui est-elle une garantie. Le maître qui cause sait à chaque moment où en sont les intelligences. Il s’assure constamment que telle ou telle attention na pas déserté. Il y a là comme un doigté plus délicat et plus sûr.

De plus, nous savons si nous avons vraiment convaincu notre auditoire, ce qui est fort important. C’est en effet un de nos torts les plus fréquents : nous discutons savamment les doctrines ; nous répondons à des objections spécieuses ; mais nous ne répondons pas à l’objection naïve, grossière que nous adresse l’élève en lui-même. De sorte que souvent, à la fin d’une leçon, nous avons victorieusement réfuté Stuart Mill ou Spencer : nous n’avons pas réfuté l’élève, ce qui était l’essentiel. — En causant on évite naturellement cette erreur.

Il n’est pas jusqu’à la discipline qui ne profite de cette méthode : un élève est en faute : au lieu de le punir, au lieu même de lui faire un reproche, posons-lui une question : il rentre dans l’ordre. Il n’y a pas de mauvaise volonté qui résiste à ce procédé : le garçon le plus mal disposé, s’il s’aperçoit qu’infailliblement, chaque fois qu’il bavarde, il est interrogé, prendra le parti d’être sage. Il y a là comme une sanction latente, plus discrète et plus polie, qui ne manque guère son effet.

Enfin j’ajouterai que la pensée même du professeur gagne souvent à cette causerie : elle devient plus humaine, plus communicable ; elle rejette presque forcément tout ce qui est trop technique ; elle s’affranchit de la subtilité qu’on prend si souvent pour de la profondeur. On arrive à voir les choses d’une façon plus franche, plus simple, ce qui est, je crois, la définition même de la maturité. — C’est dire que nous faisons nous-mêmes des progrès dans notre propre classe — ce qui est toujours honorable et n’est pas toujours inutile.

Tels sont les avantages de notre méthode. Le professeur y trouve son compte, comme les élèves. Il est plus maître de leurs esprits, de leurs caractères et de sa propre pensée. — Quelles sont maintenant les raisons qu’on peut invoquer contre cet emploi presque exclusif du dialogue ?

Ce que redoutent d’abord les professeurs à qui on le conseille, c’est le mutisme des élèves. Beaucoup de nous croient franchement qu’ils n’obtiendraient rien en questionnant, que le jeune homme ne peut tirer la vérité de son propre fonds. — Je crois qu’ils se trompent : ils en jugent par quelques essais isolés et malheureux, malheureux parce qu’ils furent isolés. Sans doute, si un professeur, au milieu de l’année, s’avise tout d’un coup de causer avec ses élèves, il risque fort de parler seul. On le laisse revenir