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sont pas définies, et d’autre part aucune circonstance ne vient limiter un ensemble de ces parties. Nous nous garderons bien de dire qu’elles sont en nombre infini : singulière proposition où le sujet n’a pas de sens et où l’attribut est contradictoire. Mais nous n’aurons pas le droit non plus de parler du nombre de ces parties, du moins si nous nous rapportons seulement à la définition mathématique du nombre. Et si ce n’est pas le concept scientifique qui suffit à justifier l’affirmation de M. Renouvier, qu’est-ce donc ? Quel peut être ce nombre qu’on donne à ce coupe-papier en dehors de toute circonstance subjective qui seule permettrait d’énoncer un nombre à l’occasion de cet objet ? N’est-ce pas, je vous le demande, quelque chose dont la signification dépasse le concept, et qui se présente comme lié non pas à une vue de l’esprit, mais à la chose même ? N’est-il pas permis d’y voir, dans ce sens, un retour à la portée objective, métaphysique, si vous voulez, de la formule pythagoricienne ?


III


Vous croyez peut-être que cette digression nous éloigne beaucoup du sujet essentiel de la leçon : détrompez-vous, messieurs, il entre dans mon programme de vous indiquer quelle élaboration devaient faire subir au concept du nombre les philosophes d’Élée, Parménide et Zénon. Eh bien, savez-vous à qui je demanderais le plus volontiers des arguments contre la loi du nombre de M. Renouvier, si je voulais la contester ? mais précisément aux Éléates qui ont combattu en Italie, par une dialectique serrée, dont je vais vous donner une idée, la conception pythagoricienne de la pluralité. Vous en jugerez bientôt.

Parménide oppose, dans ses écrits, l’unité de l’être à la pluralité pythagoricienne : « L’être est un », dit-il. Il dit encore : « L’être est, le non-être n’est pas ». L’être de Parménide, c’est tout simplement la substance étendue, objet des sens. L’unité de cette substance et le fait que le non-être, le non-substance, l’espace pur, n’est pas, signifient que la matière, dont est composé l’univers, est continue, que tout se tient dans le monde, que l’espace est plein, rempli par l’être. Songez, pour plus de clarté, à la substance étendue de Descartes : vous saisirez assez bien l’être un, plein, continu de Parménide[1].

  1. Voir P. Tannery, Pour l’histoire de la Science hellène, p. 224 et sq.