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Par là s’explique le système de Spinoza. Il est un idéalisme, puisqu’il établit à l’origine, par la définition même de la « cause de soi », l’identité de la pensée et de l’existence, de l’Être rationnel qui est en soi et de l’Être réel qui est par soi. Seulement il est un idéalisme concret, c’est-à-dire qu’il se refuse à faire de l’existence un non-être, une simple apparence, et qu’il la fonde immédiatement dans l’essence. Il met la vérité à la fois dans l’idée et dans la chose, dans l’idée telle que la conçoit l’entendement, purifiée de tout élément sensible et imaginaire, dans la chose telle qu’elle est réellement, sans mélange ni corruption. Il rappelle le platonisme par l’effort qu’il fait pour poser, avant l’être même, l’intelligibilité de l’être ; il rappelle l’aristotélisme par le souci qu’il a de prendre en considération ce qui est donné, ce qui se manifeste. Il se présente toutefois comme directement opposé aux doctrines antiques, et il cherche à justifier la notion de l’individualité humaine. En travaillant à s’approfondir, la raison ontologique se déprend de toute idée de fatalité externe ; elle entend, non pas se subir, mais se poser ; elle prend conscience de ce qu’il y a en elle de subjectivité profonde et de liberté interne. C’est bien, quoi qu’on en ait dit, à affirmer l’individu que tend l’œuvre philosophique de Spinoza.

Si cette tendance a pu se développer et s’achever en un système, c’est certainement grâce à Descartes. La logique géométrique de Descartes avait eu pour résultat d’écarter en la remplaçant l’ancienne logique, la logique du concept. Elle avait éliminé de la science toutes les notions spécifiques dans lesquelles on essayait de résoudre les objets réels. Spinoza à son tour tente d’éliminer de la philosophie morale toutes les notions analogues dans lesquelles on essaie de résoudre la vie. On parle de bien suprême, de perfection exemplaire : rien n’est plus vain que ces types transcendants que l’on propose ou que l’on impose à l’homme ; rien n’est plus tyrannique que la prétention de faire rentrer l’homme dans des genres : l’homme a en lui son modèle, qui est lui-même, avec sa nature, son désir d’être, son besoin de bonheur ; l’homme n’appartient pas à un genre, il est de son genre à lui, sui generis ; il n’y a pas de hiérarchie qui puisse tirer les êtres de leur place et leur fixer arbitrairement des rangs : chaque être, par cela seul qu’il est, est à son rang. Il faut donc briser tous ces cadres conventionnels dans lesquels on veut enfermer bon gré mal gré une humanité défigurée, et au lieu d’imaginer une raison ennemie de l’homme qu’elle absorbe et réduit à